3e 7bre 1773, à Ferney
Madame,
Je ne connais pas plus l’auteur modeste et couronnç de l’éloge de Colbert, je ne connais l’auteur téméraire et honni des fragments sur L’Inde.
Je me doute seulement que le sage qui a remporté le prix de L’académie, mériterait peut être de succéder au grand homme qu’il a si bien loué. Son principal mérite à mes yeux jusqu’à présent, était d’avoir rendu justice au vôtre. Je ne connaissais pas ses grands talents, et la raison en est que je n’avais eu prèsque jamais l’honneur de le voir.
Je lui sais bien bon gré d’avoir un peu prêché les économistes et les athées. Il y a sous le gouvernement de Dieu du bien et du mal, comme il y en avait en France sous l’administration de Jean Batiste; mais celà n’empêche pas qu’on ne doive adorer Dieu, et estimer beaucoup Jean Batiste Colbert.
Nous autres qui connaissons le prix du bled, et qui le paions encor trente francs le septier, après la récolte la plus abondante, nous savons que Jean Baptiste était très avisé de tenir continuellement la main à l’exportation, et nous ne l’appellons point un esprit mercantile comme messieurs les économistes l’ont nommé.
Quant à feue la compagnie des Indes, je vois, Madame, que je me suis mépris. Nous avons, quelques genevois et moi, envoié un vaisseau à Bengale. Vous me faittes trembler pour nôtre entreprise. Mais dans les derniers temps de la compagnie, on ne tremblait pas, on pleurait. Pour moi, je rirai encor si les cinquante neuf personnes qui sont sur nôtre vaisseau mangent tout nôtre argent et se moquent de nous, comme il y a très grande aparence. Plus on est vieux et malade plus il faut rire. La décrépitude est trop triste.
Nous présentons, Made Denis et moi, nos très humble respects à Monsieur et à Madame Neker, et c’est du fond de notre cœur.
V.