8e mars 1775
Pardon, mon cher ange, ce n'est pas ma faute si j'ai tâté un peu de l'agonie aux approches de l'équinoxe, selon ma louable coutume.
J'ai été bien sot quand j'ai cru être au moment où je ne vous reverrais plus. Je ne veux pas perdre l'espérance qui est toujours au fond de ma boîte de Pandore.
J'avais fait relier une nouvelle édition de Don Pèdre et Compagnie pour Mr de Thibouville. Je ne sais plus comment faire pour la lui envoyer. Il y a longtemps qu'elle est toute prête. Est il possible qu'il n'ait pas un contre-seing de quelque intendant des postes à son service? Ces pauvres parisiens ne s'avisent jamais de rien. Je prends le parti de la lui envoyer par la diligence de Lyon, empaillée comme un pâté.
Le Kain a mandé qu'il avait une vieille Eriphile de moi; c'est une esquisse assez mauvaise de Sémiramis. Il serait ridicule que ce croquis parût, et il n'est pas moins à craindre qu'il ne paraisse.
Je me flatte que mon cher ange me sauvera de cette petite honte.
Il faut que je vous conte que j'avais envoyé un vaisseau dans l'Inde, avec quelques associés. Le tonnerre est tombé sur notre vaisseau et a tout fracassé. J'ai, dieu merci un anti-tonnerre à Ferney dans mon jardin. Vous savez que cela s'appelle un conducteur; avec cette précaution on n'a rien à craindre sur terre. C'en serait trop d'avoir à la fois affaire au tonnerre, sur la mer des Indes et dans mon parterre. Les dévots se moqueraient trop de moi.
Je conseille à Beaumarchais de faire jouer ses factums si son barbier ne réussit pas.
Adieu, mon cher ange, je n'en peux plus, permettez que je vous embrasse bien tendrement, avec le peu de force qui me reste.
V.