1770-11-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Marie François de Paule de Dompierre d'Hornoy.

Mon cher conseiller les scènes que vous avez jouées à la campagne sont sûrement plus plaisantes que celles qu’on donne quelquefois sur votre grand théâtre de législation.
Je vous trouve un très grand philosophe de savoir joindre les amusements aux affaires. Vous pouriez bien en avoir une avec votre ancien confrère M. l’abbé Terrai au sujet de cent mille francs qui vous apartiennent et sur les quels il semble avoir mis une main qu’il n’a pas encor retirée. Il n’est point du tout honnête de s’emparer ainsi du bien de ses camarades. On ne fait point de pareils tours à la Chine. Vous avez sans doute que les remontrances des six premiers grands tribunaux y ont force de loy. Voilà ce gouvernement qu’on nous a peint comme si despotique. Il faut bien qu’on y soit heureux puisque l’empereur fait des vers.

On n’est pas si heureux dans mon petit empire de Ferney. Le bled y vaut cinquante francs (le septier de Paris) depuis un an, et àprésent vingt écus. Il faut que la France soit devenue bien riche depuis le systême de Mrs les œconomistes et les Ephemerides du Citoyen.

Comme mon commerce avec le Roy de la Chine commence à faire du bruit dans votre province d’Europe, il est juste que vous en soyez instruit. Je vous envoye une des lettres à ce monarque que la malice m’attribue.

Je salue madame votre femme à la chinoise. Je voudrais bien un jour prendre avec elle une tasse de thé. Je vous embrasse de tout mon cœur.

V.