1777-07-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Dutertre.

Aiant encor, Monsieur, le ridicule de n'être point mort, je vous envoie, si vous le trouvez bon, mon certificat de vie, qui servira de ce qu'il poura. J'y joins celui de mon ami Wagniere, qui est plus jeune que moi; et je vous demande pardon de vous importuner de ces petites tracasseries.

Dieu merci, je n'entends rien du tout à mes affaires. Vous avez eu la bonté de vous en charger, et c'est ma seule consolation. Mr Le Duc De Bouillon, altesse sérénissime, a daigné m'écrire des Lettres pleines de bienveillance; mais il m'a déclaré que ce n'était point à lui à me paier les 22 ou 23 mille francs qui me sont dus par son altesse sérénissime Monseigneur son père.

Son Altesse sérénissime Monseigneur le Duc De Virtemberg, qui me doit aussi beaucoup d'argent, me paie en politesses.

Mes maçons, mes charpentiers et mon boucher, qui ne sont pas si polis, me feraient mettre en prison pour être paiés, si Dieu ne m'avait pas accordé le bénéfice d'âge de quatrevingt trois ans.

Je présume, Monsieur, que dans ma détresse vous avez eu pitié de moi, et que vous avez satisfait la succession de Mr De Laleu. C'est une chose bien étonnante qu'il ait mieux aimé me prêter vingt deux mille francs de sa caisse, que de me les faire paier par feu M: Le Duc De Bouillon. Il est encor plus étonnant que Mr D'Ailly m'ait fait perdre l'hypotèque privilégiée que j'avais sur tous les biens de ce prince. C'est un malheur irréparable. Je n'ai d'espérance et de ressource que dans vôtre sagesse, dans vôtre éxactitude, et dans l'amitié dont vous m'avez déjà donné des marques. Je viendrais vous en remercier à Paris, si mon âge, ma santé, et ma bourse, me permettaient de faire le voiage. Je prendrais quelque petit apartement dans vôtre voisinage pour aprendre pendant quelques jours à connaître un peu cette ville que je n'ai vue depuis trente années.

J'ai l'honneur d'être avec tous les sentimens que je vous dois, et surtout avec une bien sincère reconnaissance, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire