1777-02-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Dutertre.

Dans le triste état, Monsieur, de mes affaires et de ma santé, vôtre Lettre du 21e fév: me console.
J'espère que vos bons offices pouront à la fin me tirer de L'embarras où je suis avec la succession de Mr De Laleu. Il est clair que si j'étais paié de M: Le Duc De Bouillon je ne devrais plus rien à personne dans Paris. J'ai eu l'honneur de vous écrire sur cette affaire qui m'est très importante. Je vous ai prié de vouloir bien m'instruire si Mr D'Ailly m'a conservé mon hypotèque ancienne, en transportant la dette dont M: Le Duc De Bouillon est tenu envers moi. Cette dette était homologuée à la chambre des comptes et me répondait de mon paiement. Mr d'Ailly l'a transférée sur le gouvernement d'Auvergne, et j'ai bien peur d'avoir perdu par ce changement la sûreté de ma créance.

J'avais prié mon neveu Mr L'abbé Mignot, de vous en parler. Vôtre silence sur cette affaire ne laisse pas de m'allarmer. Je vous demande en grâce de m'instruire, et de vouloir bien ordonner à vôtre homme d'affaires de presser toutes les démarches qui peuvent accélérer mon paiement.

Je ne profiterai plus de la bonté qu'avait Mr De La Borde de me faire toucher mille écus par mois pour les dépenses de ma maison.

J'avais fondé une colonie assez florissante; mais les malheurs qui me sont arrivés coup sur coup, précipitent la destruction de cet établissement. J'ai des sommes immenses à paier au mois de juin, et des princes souverains qui me doivent beaucoup d'argent, me laissent sans secours, de façon qu'avec un revenu considérable je suis à la veille de manquer, et menacé de mourir chargé de dettes.

Dans cet état, Monsieur, je n'ai d'espérance que dans l'amitié que vous voulez bien me témoigner. Je vous prie de me la conserver, et de me faire réponse touchant l'affaire de Mr Le Duc De Bouillon.

J'ai l'honneur d'être avec la reconnaissance que je vous dois, Monsieur, vôtre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire