1777-03-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Alexandre Jean Mignot, abbé de Seillières.

Magni concilii angele, j'ai reçu vôtre aimable Lettre du 24e février.
Je vous remercie bien tendrement. Mais je suis si peu au fait de mes affaires, que je n'entends pas mr Du Tertre quand il dit qu'il ne faut pas presser le paiement des 24 mille Livres que me doit Mr Le Duc De Bouillon.

Je demandais à Mr Du Tertre pourquoi Mr D'Ailly avait changé l'hypotêque que j'avais, homologuée à la chambre de comptes, et qui était ma garantie. Il ne me donne aucun éclaircissement sur cet objet. Je dois vingt deux mille francs à la succession Laleu, et je me vois dans ce moment cy, à l'âge de quatre vingt trois ans sans aucune ressource.

Je n'avais à Paris que trois cent mille francs de bien libre; j'en ai assuré cent mille à vôtre neveu d'Hornoy par son contract de mariage. Les deux autres cent mille sont pour vous et pour Made Denis, et je n'y toucherai certainement pas.

Mr Le Duc de Virtemberg m'en doit cent mille, éxigibles depuis trois ans. Il ne me paie point; et je me vois hors d'état cette année de paier les maisons de ma Colonie.

Si Mr Du Tertre ne fait pas soliciter par son chargé d'affaires, l'intendant de Mr Le Duc De Bouillon, je me vois anéanti avec un revenu considérable. Me voilà bien puni d'avoir voulu faire un bien qu'il n'apartenait pas à un particulier de faire. Pour vous, mon cher ami, vous portez la peine du bien que vous avez fait par devoir. Vos chagrins sont nobles; ils portent avec eux leurs consolations.

J'ai entendu parler du nouveau volume des ridicules lettres attribuées au pape Ganganelli. Une telle impertinence est à mon gré nonseulement méprisable, mais punissable. Je ne conçois pas comment le véritable marquis de Caraccioli, ambassadeur de Naples, souffre qu'un polisson prenne son nom et celui d'un pape. Celà est digne de tout ce qu'on voit aujourd'hui dans la Littérature.

Vôtre sœur se porte toujours de mieux en mieux. Je suis dans un cas tout différent. Il faudrait pourtant que je vécusse encor un an pour mettre ordre à mes affaires délâbrées. Je m'abandonne à la providence universelle, n'aiant pas la hardiesse de croire à la particulière. Je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.

V.