1774-12-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Augustin Millon-Dailly.

…Il est triste quand on a quatrevingt et un ans, d'être frustré de son bien, et de ne savoir pas seulement où est ce bien.

J'ai environ quatre mille Livres de rente sur la succession de feu Mr Le Duc De Bouillon, par un ancien contract homologué à la chambre des comptes. Cette hippotêque est privilégiée, et cependant je ne suis point paié.

J'ai écrit en dernier lieu à l'intendant de Mr Le Duc De Bouillon d'aujourd'hui qui ne m'a point fait de réponse. Je crois qu'il faut se mettre en règle par les formes légales.

A l'égard de Mr Le Maréchal de Richelieu avec lequel j'ai l'honneur d'être lié depuis longtemps, je n'agirai que par des prières réitérées. Son triste procez avec Made st Vincent doit m'empêcher de la presser aujourd'hui.

J'ignore si Marchant le fermier général, mon parent, qui me doit toute sa fortune, a paié, mais il faut certainement qu'il paie. Mon âge et mes maladies me mettent dans l'impossibilité d'aller soliciter mes créanciers à Paris. Je n'ai de consolation et d'espérance que dans la bonté que vous avez eue, Monsieur, de vouloir bien vous mettre à la tête de mes affaires, et de daigner me tirer du chaos où je suis. Je voudrais bien ne pas mourir endetté. J'ai fait des entreprises qui sont audessus de l'état et des forces d'un citoien obscur tel que je le suis. J'ai bâti de fond en comble un château assez considérable. J'ai changé un hameau aussi affreux que pauvre, en une ville agréable, bâtie de pierre de taille, que le Roi a eu la bonté de faire paver. J'ai fait venir dans cette habitation une colonie d'artistes étrangers qui font un grand commerce, protègés par Mr Le Controlleur général. Je n'ai demandé aucun secours d'argent au gouvernement pour l'établissement de cette Colonie; j'ai tout fait à mes dépends; et je me trouve sur le point d'être ruiné, si les grands seigneurs à qui j'ai à faire dédaignent de me rendre justice….