15e 8bre 1776
Vous me grondez toujours, Monseigneur, de ce que je ne vous envoie pas toutes mes sottises.
Je vous déclare du fond de mon cœur que je ne les ai jamais voulu hazarder devant vôtre tribunal nonseulement parce que je les crois très indignes de vous être présentées, mais parce que vous les avez toujours traittées comme elles le méritent, et qu'elles n'ont jamais obtenu de vous que des plaisanteries dont vous avez accablé vôtre très humble serviteur. Vous savez bien que vous aimez à humilier vôtre prochain le plus que vous pouvez. Vous avez passé vôtre vie à rire souvent aux dépends d'autrui; on ne réforme point son caractère. Vous m'avez intimidé en vous fesant adorer.
Il n'en a pas été de même de ma Lettre à L'Académie. C'est envérité une chose très sérieuse; vous êtes nôtre Doyen, vous êtes le neveu du Cardinal de Richelieu, et certainement il n'aurait pas souffert qu'on eût dédié à Louis 13 un gros ouvrage dans lequel on aurait immolé la France à L'Angleterre. Il y a plus de quatrevingt ans que je vois des insolences ridicules, mais je n'en avais vu aucune de cette force.
C'est à vous principalement que j'ai dû demander justice. Vous devez prodiguer vos bons mots sur Gilles Shakespear, le Dieu de l'Angleterre, et vous moquer de son jubilé beaucoup plus que de moi.
A l'égard du commentaire historique sur mes misérables œuvres, il a été fait par un homme sage, d'après toutes les pièces justificatives qui sont encor entre ses mains. Celà ne ressemble pas aux Lettres du Pape Ganganelli, composées par un marquis italien, natif d'un village auprès de Tours. Ce petit ouvrage doit trouver grâce devant vos yeux. Vous avez dû y voir une Lettre de Mr D'Argenson la bête, ou plutôt de Mr D'Argenson le philosophe, dans laquelle la bataille de Fontenoy est très fidèlement décrite, et où l'on vous rend la justice que vous méritez en avouant que c'est à vous qu'on doit le gain de cette bataille de Fontenoy, que le maréchal de Saxe croiait perdue. Laissez faire, laissez dire, ces vérités parviendront un jour à la postérité malgré toutes vos railleries, malgré toutes vos légèretés, et malgré Made de st Vincent. Et quand même vous perdriez vôtre procez, ce qui me paraît impossible, quand même vous perdriez tout vôtre crédit à la cour, ce qui me parait très possible, on n'ôtera rien à vôtre gloire.
Je crois que Made De St Julien est encor à Plombieres, et qu'elle va incessamment à Paris se partager entre vous et Mr Le Duc De Choiseul.
Mr De Lavie qui m'est venu voir m'a parlé de ce livre intitulé des erreurs et de la vérité, que vous avez lu tout entier. Je ne le connais point; mais s'il est bon il doit contenir cinquante volumes in folio pour la première partie, et une demi page pour la seconde.
J'ai réellement bâti une ville, et même une assez jolie ville depuis que je n'ai eu l'honneur de vous faire ma cour à Ferney. Il y a bien là de quoi se moquer de moi plus que jamais, car sûrement je demanderai l'aumône à une pôrte de la ville, si jamais il y a une porte. Mr De Trudaine avait eu la bonté de faire paver la moitié de cette cité naissante; je doute que vôtre intendant de Bordeaux donne de l'argent pour paver le reste. Je n'implore point vôtre protection dans mes misères, je les expose en soupirant. Conservez moi vos bontés au bord de mon tombeau.
V.