1762-08-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Philippe Debrus.

Je vous renvoye mon cher monsieur touttes les lettres que vous avez bien voulu me confier, avec la pièce concernant le malheureux accusé d'avoir tué son père.
Vous sentez combien il importe de ne point mêler à notre juste cause une cause si étrangère et si mauvaise. Gardons nous de présenter aux juges la cruelle idée que les parricides sont communs en Languedoc, et que le parlement est aussi sévère envers les catholiques qu'envers les réformez.

Laissons aussi dans les anciens receuils de la ligue l'arrest rendu contre Henri quatre. Le parlement de Paris en fit tout autant. Ne réveillons point ces anciennes horreurs. Il vaut encor mieux songer à rendre notre veuve intéressante qu'à rendre le tribunal de Toulouse odieux. Il le sera assez quand on aura démontré l'innocence de la famille.

Bénissons dieu des démarches indignes et absurdes qu'on fait faire aux filles de me Calas. On leur dicte des lettres pour engager leur mère à trahir son devoir et la mémoire de son mari. On veut l'intimider. Il est bien clair que les juges qui ont rendu l'horrible arrest, sont intimidez eux mêmes. Remercions les des armes qu'ils donnent contre eux.

J'ay toujours pensé que mr de St Florentin ne rendrait les filles à la mère qu'après le jugement en révision. Il faudrait tâcher de calmer l'esprit de la mère sur cet article. Elle parle dans touttes ses lettres du couvent où ses filles sont bien traittées et bien nourries. Elle ne prononce jamais le nom de son mari. Jamais elle ne rappelle son horrible mort, l'iniquité affreuse des juges, leur fanatisme, son innocence. Il me semble que si on avait roué mon père, je crierais un peu plus fort.

Voicy une lettre de M. le procureur général de Bretagne concernant mrs Cathala et de la Serre. Elle poura vous amuser. Renvoyez la moy je vous prie dès que M. Cathala l'aura lüe, sans en prendre copie. Ce point est essential. Dieu vous conserve la santé et que votre belle et bonne âme habite longtemps son étui.

V.