aux Délices 30 juillet [1762]
Je vois bien mon respectable et vertueux magistrat que la Bourgogne n'est pas une province de la Chine.
Si Confucius et Mencius avaient fait vos loix les fils liraient au moins les mémoires de leur père. Je veux croire que s'il n'a pas voulu voir vos raisons c'est qu'il s'en raporte à vous et aux arbitres que vous avez choisis l'un et l'autre. Autrement il faudrait gémir sur la nature humaine. Je pleure quelquefois sur elle, et vous verrez bien par les nouvaux mémoires sur l'horrible avanture des Calas qu'il y a de quoy pleurer. Il est malheureusement plus aisé d'être roué que d'obtenir une révision du conseil. Mais que dites vous des pénitents blancs et des deux trous de leur masque? C'est pourtant cette mascarade qui a mis sur la roue un père de famille vertueux. J'ay vu son fils qui a partagé ses fers et je l'ay vu fondre en larmes. Les fanatiques et les parricides ne pleurent point. Si je voulais peindre l'innocence je peindrais ce jeune homme.
Les tragédies de Corneille me consolent un peu de celle de Calas. Elles sont pourtant bien remplies de boure. Je plains surtout votre dessinateur s'il est obligé de lire les pièces sur les quelles il travaille. C'est un cruel employ de lire Attila, Agesilas, Pulcherie, Othon, don Sanche d'Arragon, Andromède, la toison d'or, Pertarite, Teodore, Tite et Berenice. Danchet et l'abbé Pellegrin n'ont rien fait de si mauvais. Comment peut on tomber ainsi de la nue dans la fange? Cela doit faire trembler quiconque a sa petite portion d'une étincelle de génie.
Il est plus sûr de s'en tenir à cultiver son champ; mais quand j'ay serré mon bled je sens qu'il faut encor autre chose. Les plaisirs de la compagne ne suffisent pas à l'esprit humain. Vous manquez bien davantage à mon cœur. Je demanderai à Corneille la permission de venir vous faire ma cour pendant les vendanges.
V.