25e auguste [1762] aux Délices
Vous voilà donc mon illustre magistrat le protecteur de Pertarite, d'Agésilas, d'Attila, de Surena, de Pulcherie etc.
Vous étiez fait pour ne protéger que les Cinna et les Polieuctes. La meilleure part n'est pas tombée à votre dessinateur. Je luy sçais bon gré de mettre du génie dans ses dessins, puisque ce Corneille en a mis si peu dans la moitié de ses pièces. Il eût fallu plustôt les supprimer que les décorer par des estampes, mais le public que n'a jamais entendu ses intérêts veut avoir touttes les sottises d'un grand homme. J'ay pris le parti depuis quelque temps de faire relier ce que je trouve de bon dans les livres nouvaux et de brûler le reste. S'il fallait tout lire, Mathusalem n'aurait pas le temps. Je me flatte toujours que Pierre Corneille me donnera le temps de venir cultiver auprès de vous la vraie philosophie qui vaut mieux que la poésie. Nous allons en attendant jouer des tragédies nouvelles que les comédiens ne défigureront pas. Mademoiselle Corneille commence à réciter des vers, comme son oncle en faisait quand il était inspiré.
Nous attendons m. le maréchal de Richelieu et mr le duc de Villars à qui nous donnerons la comédie. Je trouverai à la Marche des plaisirs plus solides. Je préfère votre conversation à touts les dialogues en vers. C'est à la Marche que je compte inter silvas academi quaerere verum; si ce vrai tant cherché est fait pour l'homme, il doit se trouver chez vous. Je suis toujours affligé et inquiet des tristes discussions que vous êtes forcé d'avoir avec M. votre fils. Les choses sont elles toujours au même état? et les afaires de votre parlement avec la cour ne finiront elles point? J'ay peur que le temps n'envenime le mal aulieu de l'adoucir. Vous êtes donc plus content de Chalons que de Dijon. Mais quelle ville ne doit pas être enchantée de vous et de votre caractère?
J'ay l'honneur de vous envoier encor par mr de Villeneuve un mémoire sur les Calas. Cette afaire va être portée au conseil. C'est un grand préjugé en faveur de cette malheureuse famille, que vous ayez de la compassion pour elle. Agréez mes tendres respects.