1735-06-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Mon ancien maitre qui l'êtes toujours comme vous savez, et que j'aime comme si vous n'étiez pas mon maitre, sachez que si j'étois resté à Paris, je vous aurois vu très souvent, et que puis que je me suis confiné à la campagne il faut que je sois avec vous en comerce de lettres, car de près ou de loin je veux que vous m'aimiez et que vous m'instruisiez.
Dites moy donc mon très cher abbé quelle fortune a faite l'histoire du vicomte de Turenne, daignez me dire si l'histoire ancienne de Rollin ne commence pas à lasser un peu le public, les trétaux de Melpomene et de Talie retentissent ils de fadaises amusantes ou siflées? Mettez un peu au fait je vous en prie un pauvre solitaire qui

armis Herculis ad postem fixis latet abditus agro.

Mais si vous voulez me faire un vray plaisir mandez moy à quoy vous occupez vos loisirs. Allez vous

inter silvas academi quærere verum?

Vous occupez vous de philosophie ancienne et moderne, ou de l'histoire de nos belles lettres? Si vous déterriez jamais dans votre chemin quelque chose qui pût servir à faire connoître le progrès des arts dans le siècle de Louis 14, vous me feriez la plus grande faveur du monde de m'en faire part. Tout me sera bon, anecdotes sur la littérature, sur la philosophie, histoire de l'esprit humain, c'est à dire de la sottise humaine, poésie, peinture, musique. Je feray comme la Fleche qui faisoit son profit de tout. Je sçai que vous êtes harum nugarum exquisitissimus detector. Je vous demande en grâce de me faire part de ce que vous pouriez déterrer de singulier sur ces matières ou du moins de m'indiquer les sources un peu détournées. Il me semble mon cher abbé que j'aurois passé des journées délicieuses à m'entretenir avec vous de ces riens qui m'intéressent, et qui tout futiles qu'ils sont, ne laissent pas d'être matière à réflexion pour qui conque sait penser. Ecrivez moy donc mon ancien maitre avec familiarité, avec amitié, currente calamo et animo. Songez que vous n'avez guère d'amy de plus vieille datte, ny qui vous soit plus tendrement et plus vivement attaché quand il ne vous aimeroit que d'hier.

Volt . . . .