à Ferney 3e juillet 1775
J'étais dans un bien triste état, Monseigneur, lorsque j'ai reçu vos deux jeunes gentilshommes suedois; mais j'ai oublié tous mes maux en les entendant parler de vous.
Voilà comme vous étiez à Paris, et en Languedoc, et par tout. Vous n'avez point changé au milieu des changements qui sont arrivés en France. Je suis extasié en mon particulier des bontés que vous conservez pour moi; elles me consolent et m'encouragent per l'estreme giornate di mia vita, comme dit Pétrarque, l'un de vos prédécesseurs en talents et en grâces. Hélas! vous êtes aujourd'hui le seul Petrarque qui soit à Rome. Nous avons du moins des opera comiques, et même encor de la guaité, mais on prétend qu'il n'y a plus dans la patrie de Ciceron et d'Horace que des cérémonies. Je me trouve depuis plus de vingt ans à moitié chemin de Rome et de Paris, sans avoir succombé à la tentation de voir l'une ou l'autre. Si à mon âge je pouvais avoir une passion, ce serai[t] de pouvoir vous faire ma cour dans vôtre gloire; mais Vejanius armis
Il vient un tems où il ne faut plus se montrer, il me reste encor le goût et le sentiment, mais qu'est-ce que celà? et comment s'aller mêler dans un beau concert quand on ne peut plus chanter sa partie? Les bontés que vôtre Eminence me témoigne font ma consolation et mes regrets. Daignez conserver ces bontés pour un cœur aussi sensible que celui du vieux malade de Ferney, qui vous sera attaché avec le respect le plus tendre jusqu'à ce qu'il cesse d'exister.
V.