1775-08-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Claude Marin.

Je reçois, mon cher ami, vôtre Lettre du 17e auguste ou aoust, comme disent les Welches.
J'en déchifre une partie avec une extrême difficulté: j'entrevois d'abord à vos pieds de mouche, que vous n'avez point reçu ma réponse à vôtre proposition si intéressante de venir vous retirer dans nos déserts, loin des folies et des tracasseries Welches. Je vous avais cependant répondu sur le champ, à la dernière adresse que vous m'aviez donnée. Je vois que l'on n'a pas les mêmes attentions que l'on avait autrefois. Je prends encor le parti de vous écrire en droiture.

Si vous passez à Ferney, comme vous me le faittes espérer, vous y verrez Made De st Julien que vous connaissez, et que nous appellons le papillon philosophe, je vous jure qu'elle est encor plus philosophe que papillon. Made Denis, qui a été malade à la mort, et qui se porte à présent assez bien, vous fera les honneurs de ma chaumière, et ma vieillesse languissante se ranimera par le plaisir de vous voir et de vous entendre.

Vous m'aprendrez tout ce qui s'est passé dans le monde, car je ne sais rien, ou je ne sais que par à côté. J'ignore absolument l'affaire de Mr Mercier dont vous me parlez. J'ignore ce qui se passe sur tous les théâtres, depuis celui de la cour jusqu'à celui de Nicolé. Je bâtis avec bien de la peine des celules pour ceux qui veulent habiter nôtre Thébaïde.

Vejanius Armis Herculis ad postem fixis latet abditus agro.

Soiez assez philosophe pour passer chez nous; le vieux rat de campagne sera enchanté de souper librement avec le rat de ville; mais sachez qu'il faut venir avant le mois d'octobre, nous sommes actuellement dans le climat de Naples, et nous serions alors dans celui de Sibérie. Vous vous trouveriez au milieu de cent lieues quarrées de neige, ce qui serait fort désagréable pour un Provençal.

V.