1773-05-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Je conçois, mon cher ami, que cette horrible avanture a dû faire sur vous une grande impression.
J'en ai été effraié et affligé pour la famille et pour la nature humaine.

Je vous renvoie l'article nombre. Tout ce qui suit est prêt. Mais comme je suis toujours tout prêt aussi de partir pour l'autre monde, quoique par un chemin différent de celui qu'a pris le petit Tronchin, vous me ferez un plaisir extrême d'avancer cette besogne. Il faut profiter du tems où je suis encor en vie.

Vous aurez la ville et les fauxbourgs de Jeanne avant qu'il soit peu. Je m'intéresse plus à cette colonie qu'à celle de Ferney. Jeane est ma capitale. Je lui sacrifie les misérables villages d'Attila, d'Othon, de Pulcherie, d'Agésilas etca etca qui sont l'oprobre de la littérature et qui ne méritent pas la plus légère attention.

J'ai d'ailleurs à vous parler sur des choses qui vous regardent, et moi aussi. Mais je vous avertis que celà presse et que j'ai une extrême envie, ainsi qu'un très grand besoin de vous entretenir un quart d'heure. Si mr Hennin habite sa campagne, mandez le moi, et je vous y donnerai rendez vous, afin de ne pas vous faire perdre une journée.

Je vous prie de vouloir bien me faire imprimer sur le champ, vingt quatre éxemplaires de ce petit chifon cy joint en petit caractère et en in 12. J'enverrai chercher ces 24 éxemplaires demain si vous le trouvez bon. Vale caro.