1762-04-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Philippe Fyot de La Marche.

Il y a quinze jours, Monsieur, que je suis attaqué d'une fluxion de poitrine.
La chair est faible, l'esprit n'est plus prompt, mais le cœur est tendre; il sent toutes vos bontées. Mille remerciements à vôtre graveur pour son Estampe, que je crois destinée à la Toison d'or. Ce n'est pas que cette Toison soit digne d'une taille douce; mais il en faut aux pièces qu'on ne jouera jamais, comme à celles qu'on joue. Nous traittons de même tous les enfans de Corneille, et les bossus comme les mieux faits.

Il n'est pas juste de vous priver de vos artistes, pour Pertarite, Agesilas, et Surenna; c'est trop abuser de vôtre bonne volonté et de vôtre patience. Qu'ils se réduisent à six Estampes, et qu'ils choisissent. Autrement, vous seriez privé un an entier de ceux qui doivent travailler pour vous par préférence; il y aurait à moi une indiscrétion impardonnable de le souffrir.

Lors que j'eus l'honneur de vous écrire sur l'abomination de Toulouse, je vous croyais encor à Paris, et à portée de faire causer Mr de St Pry; cette affaire, ou je suis fort trompé, est un reste de l'esprit des croisades contre les Albigeois.

Si mon mal de poitrine me joue un mauvais tour, je partirai ayant vu honnêtement d'horreurs dans ce monde. L'avanture des Jésuites pourait être consolante, mais on va être livré aux jansénistes, qui ne valent pas mieux. Je ne sçais quel est le plus grand fléau du fanatisme, de la guerre, de la peste, et de la famine.

Je vous crois un peu empèché avec des têtes échauffées. La chaleur ne va pas trop avec la raison; vous ferez, sans doute, comme Perrin Dandin, qui attendait qu'on fût fatigué et calme. En voilà beaucoup pour un homme qui a la fièvre, mais pas assez pour l'homme qui vous est attaché avec le plus tendre respect.

V.