1761-08-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph Thoulier d'Olivet.

Nous sommes vieux l'un et l'autre mon cher Ciceron.
Par conséquent il faut se presser. J'ai envoié à Mr le secrétaire perpétuel de L'académie, l'Epitre dédicatoire adressée à la compagnie, le commentaire sur les Horaces et sur Cinna, et la préface du Cid. Je vous envoie les remarques sur le Cid, et je vous supplie, vous qui ètes si au fait de l'histoire Littéraire de ce temps là, de m'aider de vos lumières. J'attends de vôtre ancienne amitié que vous voudrez bien, presser un peu l'ouvrage. Nous n'attendons pour commencer l'impression que l'approbation du corps auquel je dédie ce monument qui me parait assez honorable pour nôtre nation.

Prèsque tous les amateurs s'accordent à désirer un commentaire perpétue, sur toutes les Tragédies de Pierre Corneille. Cet ouvrage n'est ni aussi longt ni aussi difficile qu'on le pense pour un homme qui depuis longtemps a fait une Lecture assidüe et réfléchie de toutes ces pièces. Il n'en est point qui n'ail de beaux endroits. Les remarques sur les fautes pouront être utiles, et les remarques historiques pouront être intéressantes.

Je ne m'embarasse point de la manière dont les Cramer imprimeront l'ouvrage, c'est leur affaire. Il y aura probablement six ou sept volumes in 4., et à deux Louïs d'or l'éxemplaire, il y aurait beaucoup de perte sans la protection que le Roy, et les premiers du royaume accordent à cette entreprise. J'aurai peut-être l'honneur d'y contribuer autant que le roy même, car il faudra que je fasse toutes les avances, et que je suplée toutes les non valeurs. Mais il n'y a rien qu'on ne fasse pour satisfaire ses passions, et la mienne est d'élever avant ma mort un monument dont la nation me sache quelque gré. Vous voiez que j'ai puisé un peu de vanité dans la lecture de vôtre Ciceron, mais je vous avertis qu'il n'y a rien de fait si l'académie ne me seconde pas.

Je suplie mr le secrétaire, de marquer en marge tout ce qu'il faudra que je corrige, et je le corrigerai sur le champ. Je ne fatiguerai pas l'académie de mes observations sur Pertarite, Agesilas, Surenna, Attila, Andromède, la Toison d'or, Pulchérie, en un mot sur les pièces qu'on ne joüe jamais, et dont le commentaire sera très court. Mais je prendrai la liberté de la consulter sur tous mes doutes. Vous sentez qu'il est important, qu'un tel ouvrage ait la sanction du corps, et qu'on puisse faire un livre classique, qui sera l'instruction des étrangers et des Français.

Couronnez vôtre carrière, mon cher ami, en donnant tous vos soins au succez de nôtre entreprise.

Je suis obligé de dicter tout ce que j'écris attendu qu'il ne me reste plus guères que la parole, et que je dicte en me levant, en me couchant, en mangeant, et en souffrant.

Vale care Olivete.

V.