1762-06-11, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges je me jette réellement à vos pieds et à ceux de M. le comte de Choiseuil.
La veuve Calas est à Paris dans le dessein de demander justice. L'oserait elle, si son mari eût été coupable? Elle est de l'ancienne maison de Montesquieu par sa mère (ces Montesquieu sont de Languedoc). Elle a des sentiments dignes de sa naissance et audessus de son horrible malheur. Elle a vu son fils renoncer à la vie et se pendre de désespoir; son mari accusé d'avoir étranglé son fils, condamné à la roue et attestant dieu de son innocence en expirant; un second fils accusé d'être complice d'un parricide, banni, conduit à une porte de la ville et reconduit par une autre porte dans un couvent, ses deux filles enlevées, elle même enfin interrogée sur la sellette, accusée d'avoir tué son fils, élargie, déclarée innocente, et cependant privée de sa dot. Les gens les plus instruits me jurent que la famille est aussi innocente qu'infortunée. Enfin si malgré touttes les preuves que j'ay, malgré les serments qu'on m'a faits, cette femme avait quelque chose à se reprocher, qu'on la brûle. Mais si c'est, comme je le crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du monde, au nom du genre humain protégez la. Que Monsieur le comte de Choiseuil daigne l'écouter. Je luy fais tenir un petit papier qui sera son passeport pour être admise chez vous. Ce papier contient ces mots, la personne en question vient se présenter chez monsieur Dargental, conseiller d'honeur du parlement, envoyé de Parme, rue de la Sourdiere.

V.

Mes anges cette bonne œuvre est digne de votre cœur.

V.