1763-01-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Thiroux de Crosne.

Monsieur,

Je me crois autorisé à prendre la liberté de vous écrire; l'amour de la vérité me l'ordonne.

Pierre Calas accusé d'un fratricide, et qui en serait indubitablement coupable si son père l'eût été, demeure auprès de mes terres. Je l'ai vu souvent. Je fus d'abord en défiance. J'ai fait épier pendant quatre mois sa conduite et ses paroles; elles sont de l'innocence la plus pure et de la douleur la plus vraie. Il est prêt d'aller à Paris, ainsi que sa mère qui n'a pu ignorer le crime, supposé qu'il ait été commis, qui dans ce cas en serait complice, et dont vous connaissez la candeur et la vertu.

Je dois, monsieur, avoir l'honneur de vous parler d'un fait dont les avocats n'étaient point instruits. Vous jugerez de son importance.

La servante catholique qui a élevé tous les enfants de Calas, est encore en Languedoc; elle se confesse et communie tous les huit jours; elle a été témoin que le père, la mère, les enfants, et Lavaisse, ne se quittèrent point dans le temps qu'on suppose le parricide commis. Si elle a fait un faux serment en justice pour sauver ses maîtres, elle s'en est accusée dans la confession: on lui aurait refusé l'absolution, elle ne communierait pas. Ce n'est pas une preuve juridique, mais elle peut servir à fortifier toutes les autres; et j'ai cru qu'il était de mon devoir de vous en parler.

L'affaire commence à intéresser toute l'Europe. Ou le fanatisme a rendu une famille entière coupable d'un parricide, ou il a fasciné les yeux des juges jusqu'à faire rouer un père de famille innocent: il n'y a pas de milieu. Tout le monde s'en rapportera à vos lumières et à votre équité.

J'ai l'honneur d'être avec respect &a.