aux Délices 6 septb[1756]
Je ne conçois pas trop comment mon héros, environné tout du long de sa route, d'affaires, de feux de joye, de fusées, de bals, de comédies, de cris de joye, de battements de mains, de femmes, de filles, daigne encor trouver le temps de donner une lettre à Fleurian pour moy.
Je vous remercie tendrement Monseigneur. Soyez bien persuadé que je serais venu vous faire ma cour à Lyon, mais je crains pour la vie d'une de mes nièces. Tronchin sera un grand médecin s'il la tire d'affaire.
Quand vous pourez m'envoier quelque petit détail de votre belle expédition de Mahon, je vous serai vraiment très obligé, mais àprésent je ne fais qu'un tableau général des grands événements, et je ne peins qu'à coups de brosse. Puisque j'avais commencé une histoire universelle, il a fallu la finir; et dans cette histoire, ce qui fait le plus d'honneur à la nation, y est marqué en peu de mots. Je dis que vous avez sauvé Genes, que vous avez contribué plus que personne au gain de la bataille de Fontenoy. Je parle de l'assaut de Bergopzom, pour mettre au-dessus de cette entreprise, l'assaut général que vous avez donné à des ouvrages bien moins entamez que ceux de Bergopzom: tout cela sans affectation, sans avoir l'air de vouloir parler de vous, et comme conduit par la force des événements. J'aurai eu du moins le plaisir de finir une histoire universelle par vous.
Il est venu dans mon trou des Délices un petit garçon haut comme Ragotin, nommé Dufour, qui a fait un petit divertissement à Lyon en votre honneur et gloire. Il dit que c'est vous qui me l'avez adressé, qu'il va à Paris, qu'il veut être votre secrétaire, qu'il faut que je luy donne une lettre pour vous. Je luy donnerai donc cette lettre, qui contiendra que le porteur est le petit Dufour, et vous ferez du petit Dufour tout ce qu'il vous plaira, mais je serai fort surpris, si le petit Dufour peut vous aborder. On dit qu'un abbé va à Vienne. J'espère qu'il bénira l'aigle à deux têtes, et qu'il maudira celuy qui n'en a qu'une.
Les hermites suisses vous présentent leurs tendres respects.
V.