Paris, le 6 juin 1745
Monsieur,
Prenez vous en à la bataille de Fontenoy, si je n'ai pas eu l'honneur de vous répondre plus tôt.
L'occupation que m'a donnée la gloire du roy mon maître, était la seule chose qui pouvait m'empêcher de m'entretenir avec un vrai philosophe que je préfère à bien des rois.
Puisque votre philosophie consiste à aimer et à encourager tous les genres de littérature j'ai l'honneur de joindre à un gros tome de physique la meilleure édition qu'on ait faite de mon poème sur la bataille de Fontenoy. Vous verrez, monsieur, dans ce poème quelle justice je rends à vos compatriotes. Vous augmentez bien l'estime que j'ai toujours eue pour cette nation respectable. Puissiez vous, monsieur, en être encore longtemps l'ornement et la gloire! Vous avez fait de Lausanne le temple des muses, et vous m'avez fait dire plus d'une fois, que si j'avais pu quitter la France je me serais retiré à Lauzanne. J'aurais cultivé auprès de vous mon goût pour la véritable sagesse, que le fracas des cours, les agréments de Paris, les charmes de la poésie n'ont que trop séduit; il faut que je fasse des couronnes de fleurs dans le temps que je voudrais cueillir les fruits de la philosophie, je me préparais à vous relire, monsieur, et je vais travailler à des fêtes. Mais je tourne souvent mes yeux vers Jérusalem, en chantant sur les bords de l'Euphrate dans la superbe Babylonne. Votre nom m'est toujours présent; je regrette toujours de n'avoir pu dans mes voyages goûter le bonheur de vous entendre; c'est avec ces sentiments, monsieur, que je serai toute ma vie bien sincèrement, Votre très humble & très obéissant servit:
Voltaire