1716-08-01, de Guillaume Amfrye de Chaulieu à François Courtin.

J'avais résisté jusqu'ici, monsieur l'abbé, à toutes vos coquetteries; mais il faut avouer sa faiblesse; je n'ai jamais pu tenir contre le pâté de perdrix, dont vous m'annoncez l'agréable arrivée par votre lettre.
J'ai senti avec plaisir que mon appétit & mon estomac étaient en moi plus forts que l'amour propre. Transporté d'une reconnaissance gloutonne, qui m'a tenu lieu d'enthousiasme, je me suis écrié:

Toi, dont le teint fleuri, respecté des années,
Fit toujours les souhaits des beautés surannées,
Aimable glouton, cher Courtin,
Qui veux, quelque cher qu'il t'en coûte,
Et toujours reprendre du vin,
Et toujours te donner la goutte,
Qui jamais ainsi n'aura fin:
Quand arriva l’épître vôtre,
J’étais gisant sur le grabat;
Et le rhume, qui tout abat,
Tenait Palaprat dans un autre,
Gisant comme moi tout à plat.
Avouez que, sans imprudence,
Rimeurs en état si piteux
Ne doivent tompre le silence;
Car d'un corps faible & langoureux
L'esprit ressent la décadence;
Et le chagrin de la souffrance
Eteint le brillant de ces feux
Qu'allument la santé, les plaisirs & les jeux
Dans le sein de l'intempérance.
Et puis, messieurs les beaux esprits,
Qui veut vous faire une réponse,
Plus d'une fois sur ses écrits
Doit passer la pierre de ponce.
Ainsi point ne serez surpris
Que ces contretemps, ces obstacles
Aient fait cesser les oracles
Que Bacchus rendait au pourpris
Du temple, où se faisaient miracles,
Autant qu’à Temple de Paris.

N'allez pas croire au moins, messieurs, que j'aie voulu vous faire une réponse en forme ni méditée. Pour achever de me guérir d'une fluxion horrible, que j'ai eue depuis un mois sur les yeux, je me purgeai hier; & la médecine me fit évacuer ces malheureux vers que je vous envoie, qui, je crois, faisaient la matière corrompue de tous les maux que j'ai soufferts; car, comme a très bien dit m. Arouet, maudit est de dieu, & bien malade, qui toujours versifie. Si faut il bien pourtant que je réponde deux mots à ce favori d'Apollon,

Qui, sous l'ombre d'une fleurette,
Nous a tiré doucement,
En badinant, une aiguillette;
Mais le tout avec agrément.
Pour vous, successeur de Villon,
Dont la muse toujours aimable
Fait de Sully, ce beau vallon
Que nous a tant vanté la fable;
Sachez que si, dans nos repas,
Par quelque gentil vaudeville,
Nous avons reprimé les fats,
Qui sans nous inondaient la ville;
Jamais notre malignité
Ne sentit l'aigreur de la bile;
Et jamais toute la gaieté
De notre troupe encline à rire,
Ne passa jusqu’à l’âpreté
De la plus légère satire.
Suivez ces utiles leçons;
Et toujours occupé de plaire,
Cueillez au jardin de Cythère
Des fleurs pour orner vos chansons.
C'est là qu'Amour avec sa mère
Tient école de sentiment,
Et répand certain enjouement
Sur nos vers; & cette mollesse,
Où ni le brillant, ni les traits,
Ni toute la délicatesse
De l'esprit n'atteindra jamais;
Et dont votre muse badine,
De jour en jour plus libertine,
Nous fait sentir tout les attraits.

En voilà trop pour un malade, & même assez pour un convalescent.

Quant à notre père prieur
Qui, dans sa verve, souvent pince
Jusqu’à son humble serviteur;
Il ne veut plus être rimeur,
Et s'est mis à faire le prince.
De sa table, qui n'est pas mince,
A de joyeux compotateurs
Il fait lui même les honneurs,
Mieux qu'aucun seigneur de province.

Il ne me reste qu’à prendre congé de vous, messieurs, à vous donner salut & bénédiction, & à vous souhaiter . . . .

Dans votre séjour enchanté,
Buvez frais, faites chère lie.
Dieu vous donne prospérité;
Son paradis en l'autre vie;
Dans celle-ci joie & santé.
Goûtez bien votre oisiveté,
Et bornez au plaisir votre philosophie.