[summer 1716]
De Sully, salut & bon vin
Au plus aimable de nos princes,
De la part de l'abbé Courtin,
Et d'un poète des plus minces
Qu'un assez bizarre destinA confiné dans ces provinces.
Vous voyez, monseigneur, que l'envie de faire quelque chose pour v. a. a réuni deux hommes bien différents.
L'un gras, gros, rond, court, séjourné,
Citadin de Papimanie,
Porte un teint de prédestiné
Avec la croupe rebondie.
Sur son front respecté du temps,
Une fraîcheur toujours nouvelle
Des premiers jours de son printemps
Entretient la fleur éternelle:
L'autre dans Papefigue est né,
Maigre, long, sec & décharné,
N'ayant eu croupe de sa vie,
Bien moins malin que l'on ne dit;
Et sans doute de dieu maudit,
Puisque toujours il versifie.
Notre premier dessein était de vous envoyer un ouvrage dans les formes, moitié prose & moitié vers.
L'abbé, comme il est paresseux,
Se réservait la prose à faire,
Abandonnant à son confrère
L'emploi flatteur & dangereux
De rimer quelques vers heureux,
Qui peut-être auraient pu déplaire
A certain censeur rigoureux,
Dont le nom doit ici se taire.Nous eussions peint les jeux voltigeants sur vos traces
Et cet esprit charmant au sein d'un doux loisir,
Agréable dans le plaisir,
Héroïque dans les disgrâces;
Nous vous eussions parlé de ces bienheureux jours
Jours consacrés à la tendresse;
Nous vous eussions avec adresse
Fait la peinture des amours,
Et des amours de toute espèce:
Vous en eussiez vu de Paphos,
Vous eu eussiez vu de Florence;
Mais avec tant de bienséance,
Que le plus âpre des dévots
N'en eût point fait la différence:
Bacchus aurait paru de Tocane échauffé,
D'un bonnet de pampre coiffé,
Célébrant avec vous mainte joyeuse orgie,
Ayant sans cesse à son côté
Les plaisirs & la liberté,
Quelquefois même la folie.Petits soupers, jolis festins!
Ce fut parmi vous que naquirent
Mille vaudevilles malins
Que les amours à rire enclins
Dans leur sottisier recueillirent,
Et que j'ai vus entre leurs mains.
O que j'aime ces vers badins,
Ces riens charmants & pleins de grâce,
Tels que l'ingénieux Horace
En eût fait l’âme d'un repas,
Lorsqu’à table il avait sa place
Avec Auguste & Mécénas!
Voilà un faible crayon du portrait que nous voulions faire; mais il faut être inspiré pour de pareils écrits.
Nous ne sommpes point beaux esprits,
Et notre flageolet timide
Doit céder cet honneur charmant
Au luth aimable, au luth galant
De ce successeur de Clément,
Qui dans votre Temple réside;
Sachez donc que l'oisiveté
Fait ici notre unique affaire:
Nous buvons à votre santé;
Dans ce beau séjour enchanté,
Nous faisons excellente chère,
Et voilà tout, en vérité:
Vous avez la mine d'en faire
Tout autant de votre côté.