1745-06-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson.

Voicy une mauvaise plaisanterie que j'écris au Roy de Prusse.
Vous verrez monseigneur que je ne le traitte pas si pompeusement que le vainqueur de Fontenoy.

Quand deux héros s'entendent bien,
Quand chacun d'eux deffend son bien,
De celuy d'autruy fait ripaille
Et d'un air fier et peu crétien,
Prend des murs et gagne bataille,
Quand des enfers le triple chien,
Voit passer au bord stigien
Des pandours toute la racaille
Saxon, anglais, hanovrien,
Envoyez à coups de mitraille
Vers le séjour élisien,
Lors qu'on rit, et qu'on ne craint rien
De Berlin jusques à Versaille,
Que dit l'auguste autrichien?
Tout honteux il faut qu'il s'en aille
Loin de Louis notre soutien,
Loin du monarque prussien
Qui le bat, le suit, et s'en raille,
Cela pour gâter la taille
De ce gros Monsieur Bartenstein
Et du petit baron Toussaint
Qui toujours contre vous criaille,
Que dira l'Anglais si hautain?
A mon avis c'est fort en vain
Que George, avec monsieur Bentin,
Arme, négocie et travaille
Pour rabaisser notre destin.
Vous aurez l'huitre et luy l'écaille,
Vous aurez le fruit et le grain,
Il aura l'écorce et la paille.
Contre votre esprit plus qu'humain
Votre grand coeur et votre main,
Le frère cadet du lorrain
Qui par hazard passa le Rhin,
Ne poura faire rien qui vaille.
Le Saxon d'ailleurs très humain,
Des porcelaines souverain,
Vainement contre vous qu'il faille
Que l'électorale prêtraille
En fasse un empereur romain!

Cela n'est pas bon à courir, mais peutêtre en peut on amuser le roy preneur de Villes et gagneur de Batailles, car encor faut il amuser son héros.

Le beau champ qui s'ouvre pour vous! Je vous remercie de la bonté que vous avez pour mes gros paquets, mais les ministres étrangers demandent la sixième édition de la bataille de Fontenoy, dédiée au roy. J'entends les ministres en terre étrangère. L'abbé Onillon crie. Le prisonier d'Anvers en demande. On doit vous aporter des exemplaires de la septième édition de Lile. De grâce ordonnez à un de vos secrétaires d'en dépêcher partout. Faites voler mes hommages au bout du monde. Il n'y a qu'à envoyer à Lile chez le libraire Pankouke.

Où est Mr votre fils? négoce t'il avec le gros mr Bentin? Je n'ay pas vu votre belle fille, à qui je voulois rendre mes respects. Je suis tantôt à Champs, tantôt à Etiole. Je vais vous préparer une fête. Préparez les oliviers que je voudrois qui ornassent le téâtre.