1745-06-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Voicy un petit morceau dans lequel il y a d'assez bonnes choses.
Il y a surtout un vers admirable:

Un roy plus craint que Charle, et plus aimé qu'Henri.

Vous devriez bien monseigneur faire mettre le doigt dessus à notre adorable monarque. D'héros à héros il n'y a que la main.

Voicy une mauvaise plaisanterie que j'ay envoyée au vainqueur de Friedberg. Je ne traitte pas le roy de Prusse si sérieusement que le Roy mon maître.

Quand deux héros s'entendent bien,
Quand chacun d'eux deffend son bien,
De celuy d'autruy fait ripaille,
Et d'un air fier et peu crétien
Prend des murs et gagne bataille
Quand des enfers le triple chien
Voit passer au bord stigien,
Des pandours toutte la racaille,
L'anglais saxon hanovrien,
Envoyez à coups de mitraille
Vers le séjour Elisien.
Lors qu'on rit et qu'on ne craint rien
De Berlin jusques à Versaille;
Que dit le fier autrichien?
Tout honteux, il faut qu'il s'en aille,
Loin de Louis notre soutien,
Et loin de ce Roy prussien,
Qui le bat, le suit, et s'en raille.
Cela poura gâter la taille
De ce gros monsieur Bartenstein
Et du petit baron Toussaint
Qui toujours contre vous criaille.
Que dira l'anglais si hautain,
Et des gazetiers la canaille?
A mon avis c'est fort en vain
Que George, avec monsieur Bentin
Arme, négocie et travaille
Pour rabaisser notre destin.
Vous aurez l'huître, et luy l'écaille,
Vous aurez le fruit et le grain,
Il aura l'écorce et la paille.
Contre votre esprit plus qu'humain
Votre grand cœur et votre main,
Le frère cadet du lorrain,
Qui par hazard passa le Rhin
Ne peut plus rien faire qui vaille.
Le saxon d'ailleurs très humain
Des porcellaines souverain
Vainement contre vous féraille,
Il se retire en mauvais train.
Cependant croyez vous qu'il faille
Que L'électorale prêtraille
En fasse un empereur Romain?

On peut je croi éguaier sa majesté de ces balivernes qui ne coureront point.

J'eus l'honneur de vous envoyer hier de nouvaux essais de la fête, mais il y en a bien d'autres sur le metier. Il ne s'agit que de voir avec Rameau ce qui conviendra le plus aux fantaisies de son génie. Je seray son esclave pour vous faire voir que je suis le vôtre. Mais en vérité vous devriez bien mander à made de Pompadour autre chose de moy, que ces beaux mots, je ne suis pas trop content de son acte. J'aimerois bien mieux qu'elle sût par vous combien ses bontez me pénètrent de reconnaissance, et à quel point je vous fais son éloge. Car je vous parle d'elle comme je luy parle de vous. Et en vérité je luy suis tendrement attaché, et je croi devoir compter sur sa bienveillance autant que personne. Quand mes sentimens pour elle luy seroient revenus par vous, y auroit il eü si grand mal? Ignorez vous le prix de ce que vous dites et de ce que vous écrivez! Adieu monseigneur mon cœur est à vous pour jamais.

V.

Il n'y a qu'une voix sur la bauté et la grandeur du sujet, et je ne sçai rien de si convenable et de si heureux.