1770-09-05, de Joseph Michel Antoine Servan à Voltaire [François Marie Arouet].

Que de bontés, monsieur, et comment les reconnaître! Vous admirer, vous chérir, ériger votre statue dans mon cœur longtemps avant celle que Pigale vous destine à Paris, voilà ce que je puis et ce que je fais.
Avec mille et une raisons de désirer de vous revoir, je voudrais surtout aller apprendre de vous l'art de vivre en mourant; non, monsieur, je ne cherche pas la santé, je n'évite pas même la mort; mais je voudrais sentir et jouir en l'attendant. Il me semble que je saurais mourir, peut-être même souffrir; mais je ne sais point languir; et je ne demande à la médecine qu'un remède à ma faiblesse, et non point à mes maux. L'existence est une boisson fade que la providence me fait avaler depuis dix ans pour me donner des nausées; j'aimerais mieu un peu de liqueur, dût elle me causer mal à la tête.

Je ne sais si monsieur Tissot me fera bientôt cesser d'être une huître à l'écaille; mais, quoi qu'il arrive, à mon retour j'irai, n'en doutez point, adorer en passant ce beau soleil qui se couche avec la splendeur du midi, et dirige plus d'horloges que celui du palais royal. Imaginez, monsieur, ce que l'admiration, le respect et la tendresse ont de plus sincère et de plus vif, ce sont les sentiments de votre très &c.