1745-06-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à René Louis de Voyer de Paulmy, marquis d'Argenson.

Eh bien monseigneur vous aurai-je bientôt assez importuné, assez assomé de mes paquets pour les princesses du nord?
Que direz vous de mon influence? Tantôt, c'est pour la princesse de Suede, tantôt c'est pour La csarine. Vous êtes bien heureux que je vous sauve le roy de Prusse cette fois cy. Vous auriez vrayment un paquet pour le pape si vous étiez à Paris. Je suis comme L'Aretin, en commerce avec touttes les têtes couronnées, mais il s'en faisoit payer pour les amadoüer. Recevez donc mes très humbles excuses pour cet énorme paquet que vous pourez faire partir par la première flotte que vous enverrez à la pêche de la baleine.

Vous verrez par la lettre cy jointe à cachet volant que j'adresse à M. d'Allion, de quoy il s'agit, vous verrez que je veux des protections depuis Rome jusqu'à Petersbourg, mais que surtout il me faut la vôtre. Ayez donc la bonté de me recommander à M. Dallion comme le plus vieux serviteur que vous ayez.

Je n'ay pas encor entendu parler de M. l'abbé de Tolignan, quoy qu'il ait les portraits du st père encor dans sa poche. J'ay peur qu'il ne soit un peu fâché, car chacun est jaloux à ce que je vois de sa petite négociation.

Je vous prépare une fête pour votre retour. J'y couronneray le roy de Lauriers. En attendant vous recevrez une septième édition de Lile, et voicy la sixième faitte à Paris, de ce petit monument que j'ay élevé à la gloire de notre monarque. Dites luy en un peu de bien, et empêchez si vous pouvez les araignées de se manger.

Eh bien il pleut donc des victoires! Le roy de Prusse bat nos ennemis et fait des épigrammes contre eux. Oh la belle et glorieuse paix que vous ferez!