30 may [1745]
Au milieu des énormes paquets dont je vous accable pour la gloire du roy mon maitre ou pour son ennuy, il faut s'il vous plait monseigneur que j'éclaircisse ma petite affaire avec le pape.
La voicy. Vous savez que les bontez de mademoiselle du Til m'ont valu les bons offices de L'abbé de Tolignan, et que M. l'abbé de Tolignan m'a valu un petit compliment de la part de sa sainteté sans que cette sainte négociation passast par d'autres mains. Vous vous souvenez peut être qu'il y a près de deux mois que l'envie me prit d'avoir quelque marque de la bienveillance papale qui pût me faire honneur en ce monde cy et dans L'autre. J'eus l'honneur de vous communiquer cette grande idée, mais vous me dîtes qu'il n'étoit guères possible de mêler ces choses célestes aux politiques. Sur le champ j'allay trouver mademoiselle du Til, qui a été pour moy turris eburnea, fœderis arca, et elle me dit qu'elle essayeroit si l'abbé De Tolignan auroit assez de crédit encore pour obtenir deux médailles de sa sainteté qui vaudroient pour moy deux évêchés. Nouvelles coquetteries avec le pape de ma part. Je lis ses livres, j'en fais un petit extrait, je versifie, et le pape devient mon protecteur in petto.
Je vous mande tout cela il y a trois semaines et je vous écris que Mr l'abbé de Canillac feroit très bien sa cour en parlant de moy à sa sainteté, mais je ne parle point de médailles. Alors il vous revient en mémoire que j'avois eu grande envie du portrait du st père, et vous en écrivez à M. l'abbé de Canillac. Pendant ce temps là qu'arrive t'il? Le pape, le très saint, le très aimable donne deux grosses médailles pour moy à M. l'abbé de Tolignan, et le maître de la chambre m'écrit de la part de sa sainteté. L'abbé de Tolignan a en poche médailles et lettres, et les enverra quand et comme il poura.
A peine mr de Tolignan est il muni de ces divins portraits que M. l'abbé de Canillac va en demander pour moy au st père. Il me paroit que sa sainteté a l'esprit présent et, plaisant. Elle ne veut pas dire au ministre de France monsu, un altro à le medaglie, mais elle luy dit qu'à la st Pierre, il y en aura de plus grosses; vous recevrez monseigneur la lettre de L'abbé de Canillac qui vous mande cette pantalonade du pape tout sérieusement et mademoiselle du Til reçoit la lettre de M. l'abbé de Tolignan qui luy mande la chose comme elle est.
Esce assez parler de deux médailles? Non vrayment monseigneur. Il faut que je réussisse dans ma négociation, car elle va plus loin que vous ne pensez, et vous n'êtes pas au bout.
Le grand point est donc que Mr l'abbé de Canillac ne soufle pas la négociation à l'abbé de Tolignan par ce qu'alors il se pouroit faire que tout échouast. Je vous suplie donc d'écrire simplement à votre ministre romain que le poids de marc ne fait rien à ces médailles, qu'il vous fera plaisir de me protéger dans l'occasion, que l'abbé de Tolignan étant mon amy depuis longtemps, il n'est pas étonnant qu'il m'ait servi, et que vous le priez d'aider l'abbé de Tolignan dans cette affaire, etc. etc. etc.
Moyennant ce tour très simple et très vray, il n'y aura point de tracasserie. J'auray mes médailles, tout le monde sera content, et je vous auray la plus grande obligation du monde. Pardonez moy; comment peut on écrire quatre pages sur ces balivernes? Cela est honteux.
V.