1775-03-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Jean de Beauvoir, marquis de Chastellux.

J'apprends, monsieur, que vous faites à m. de Châteaubrun l'honneur de lui succéder.
S'il ne s'était pas pressé de vous céder sa place, je vous aurais demandé la préférence. J'ai été si malade depuis près de deux mois que j'ai cru que je le gagnerais de vitesse, et alors je me serais recommandé à vos bontés. L'Académie me devient plus chère que jamais.

Je ne sais si vous avez reçu, monsieur, une petite édition de cette esquisse de dom Pèdre qu'un genevois devait mettre de ma part à vos pieds. S'il ne vous l'a pas remise, voudriez vous avoir la bonté de me dire comment je pourrais m'y prendre pour vous rendre cet hommage que mon état très douloureux m'empêche de vous présenter moi même? Pardonnez à ma terre épuisée si elle ne porte pas de meilleurs fruits. Rien ne serait plus propre à me rajeunir que de venir vous faire ma cour, de vous entendre à votre réception, et de partager l'honneur que vous nous faites.

S'il est vrai que la raison ait passé par Paris dans ses petits voyages, elle doit y rester pour vivre avec l'auteur de la félicité publique. Ce n'est pas une médiocre consolation pour moi de voir mon opinion sur cet ouvrage si bien confirmée. M. de Malesherbes a dit que ce livre était digne de votre grand-père; et moi j'ai l'insolence de vous dire que votre grand-père, tout votre grand-père qu'il est, en était incapable, malgré son génie et son éloquence. Je pensai ainsi lorsque j'ignorais que la félicité venait de vous. Je n'ai jamais changé d'avis, et certainement je n'en changerai pas.

La raison, et la vérité sa fille, se recommandent à vos bontés, et moi chétif qui voudrais bien être de la famille, je me mets à vos pieds.

Le vieux malade de Ferney