1773-09-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Selon ce que vous daignâtes me mander, Monseigneur, par vôtre dernière Lettre, j’envoie aujourd’hui à Madame la comtesse Du Barry, une montre de ma Colonie.
Si vous en êtes content j’espère qu’elle en sera satisfaitte; car ce n’est pas seulement dans les ouvrages d’esprit que mon héros a du goût.

Il n’a pas daigné répondre à mes justes plaintes sur la partie quarrée de L’Electre de Crebillon; mais j’ose présumer que dans le fond de son coeur il est assez de mon avis. Je compte toujours sur ses bontés pour l’Afrique et pour la Crete, pour l’impudente Sophonisbe, et pour les loix de Minos, car quoique je sente parfaitement le néant de toutes ces choses, j’y suis pourtant bien attaché attendu que je suis néant moi même. J’ai été sur le point ces jours passés d’être parfaittement néant, c’est à dire de mourir; il ne s’en est pas fallu l’épaisseur d’un cheveu; et je disais, Je ne saurai pas dans un quart d’heure si mon héros a encor de la bonté pour moi.

Vivez mon héros, vivez, et vivez gaiement. Je suis très sûr que vous vivrez longtemps, car vous êtes très bien constitué, et vous êtes vôtre médecin à vous même. Daignez dans la multitude de vos occupations ou de vos plaisirs, vous souvenir qu’il éxiste encor entre les Alpes et le mont Jura, le plus ancien de vos courtisans, et le plus pénétré de respect pour vous.

Le vieux malade de Ferney V.