19e Mars 1773, à Ferney
Sire,
Vôtre Lettre du 29 février, qui est aparamment datée selon vôtre ancien stile hérétique, ne m'en est pas moins précieuse.
Votre stile n'en est pas moins charmant; les choses les plus agréables et les plus philosophiques naissent sous vôtre plume. Il vous est aussi aisé d'écrire, des choses dignes de la postérité, qu'il l'est aux rois du midy d'écrire, Dieu vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde, et vous monsieur le président en sa sainte garde.
J'ai été sur le point de ne répondre à Vôtre Majesté que des champs Elisées; c'est après cinquante accès de fièvre, accompagnés de deux ou trois maladies mortelles, que j'ai l'honneur de vous écrire ce peu de lignes.
Je ne sais si je me trompe, mais j'ai bien peur que le renouvellement de la guerre entre la porte de Moustapha, et la porte de Catherine seconde n'entraine des suittes fatales. Vôtre Majesté est toujours préparée à tout évênement, et quelque chose qui arrive elle fera de jolis vers et gagnera des batailles.
J'ai l'honneur de lui envoier les loix de Minos avec des notes qui pouront lui paraître assez intéressantes. Elle trouvera dans le cours de la pièce que j'ai profité d'un certain poëme sur les confédérés. Elle verra même qu'il y a quelque chose qui ressemble au Roi de Suede vôtre neveu. On prétend que nôtre ministère Welche veut s'aproprier ce grand prince, et troubler un peu vôtre nord. Ce sont mystères qui passent mon intelligence; je m'en remets sur tous les futurs contingents aux ordres de sa sacrée Majesté le hazard, ou plutôt aux ordres plus réels de sa divine majesté la destinée. Les mourants d'autrefois savaient prédire l'avenir, le monde dégénère, et tout ce que je puis prédire, c'est que je serai vôtre admirateur, et vôtre très sincèrement attaché Suisse, pendant le peu de minutes qui me restent encore à végéter entre le mont Jura et les Alpes.
Le vieux malade de Ferney V.