1772-02-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

J’ai peur que Vôtre Majesté Impériale ne soit bien lasse des lettres d’un vieux raisonneur suisse qui ne peut vous servir à rien, qui n’a pour vous qu’un zèle inutile, qui déteste Cordialement Moustapha, qui n’aime point du tout les confédérés Polaques, et qui se borne à crier dans son désert aux truites du lac de Genêve, chantons Catherine seconde!

Il m’est tombé entre les mains une petite pièce de vers d’un jeune Courlandais ou Courlandois, qui est venu dans mon hermitage, et que j’aime beaucoup parce qu’il pense comme moi. Il m’a dit qu’il n’osait pas mettre à vos pieds ce rogaton; mais que puisque j’avais la hardiesse de vous ennuier quelquefois en prose, il ne m’en coûterait pas d’avantage d’ennuier Vôtre Majesté Impériale en vers.

Je cède donc à l’empressement qu’a ce bon Courlandais de vous faire bâiller. Vous recevrez son ode au milieu de cent paquets qui vous arriveront de la Valachie, des îles de l’archipel, d’Arcangel et de l’Italie; mais les vers ne veulent être lus que quand on n’a rien à faire, et je ne pense pas que ce soit jamais le cas de Vôtre Majesté.

Après tout elle ne doit pas être surprise qu’un Courlandais fasse des vers, puisque le Roi de Prusse et l’Empereur de la Chine en font tous les jours. Il est vrai que les vers de l’empereur de la Chine ne sont pas sur les confédérez, mais c’est aux confédérés que le Roi de Prusse et mon Courlandais s’adressent.

Aureste, Madame, nos nouvellistes disent que voiant enfin qu’il ne paraissait aucun Godefroi de Bouillon, aucun Renaud, aucun Tancrède pour seconder vos héros, et que personne ne voulait gagner des indulgences pleinières en allant reprendre Jérusalem, vous vous amusez à négocier une trêve avec ces vilains Turcs. Tout ce que vous ferez sera bien fait; mais je voudrais qu’ils fussent tous au fond de la mer Egée.

Je ne vous parle point des autres nouvelles qu’on débite; elles me déplairaient beaucoup si elles étaient vraies; mais je ne crois point à cette bavarde qu’on appelle la renommée, je ne crois qu’à la gloire, elle est toujours auprès de vous, elle sait de quoi il s’agit, elle bâtit le temple de mémoire à Petersbourg et je l’encense du fond de ma chaumière.

Je me mets aux pieds de la Déesse et de la fondatrice du temple avec la reconnaissance, le profond respect et l’attachement que mon cœur lui doit.

Le vieux malade de Ferney