1773-05-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Bordes.

Mon cher confrère, j’aurais dû vous remercier plustôt de m’avoir envoié des dames dignes d’être votre parentes, mais j’aurais dû aussi être un peu plus digne d’une pareille visite.
J’étais cruellement malade lors qu’elles me firent l’honneur de venir à Ferney. Je combattis mon mal, je pris la liberté de leur faire ma cour en robe de chambre mais je ne pus jouir longtemps de l’avantage que vous me procuriez. Je passe ma vie dans les souffrances et dans les regrets. On dit que c’est assez le partage de la vieillesse.

Je suis bien fâché qu’Aufrene ne puisse aller à Lyon. On dit que c’est un acteur qui a des moments et des éclairs admirables. Il me semble quelquefois que si on pouvait représenter sur le beau théâtre de Lyon les loix de Minos avec quelque succès je pourais faire un effort et oublier assez mes maux pour venir vous embrasser. J’ai des raisons essentielles pour avoir un prétexte plausible de ce petit voiage. Que de choses j’aurais à vous dire et que de choses à entendre! Aimons nous mon cher philosophe car les ennemis de la raison n’aiment guères ceux qui pensent comme nous. Je vous embrasse bien tendrement.

le vieux malade V.