1773-05-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Madeleine Louise de La Tour Du Pin, baronne d'Argental.

J'ai reçu, Madame, au milieu de mes souffrances qui se sont renouvellées, la Lettre très consolante dont vous m'avez honoré.
Elle m'a été rendue par Mr Racle qui est revenu chargé de vos bienfaits. Vous me traittez comme lui, vous voulez me faire tout le bien dont vôtre belle âme est capable. Vous m'avez accablé de bontés sans m'en rien dire. J'écris à Monsieur Le comte De Bissy que vous avez mis de moitié avec vous, et je n'écrirai à la personne à laquelle il s'est adressé, que quand vous m'assurerez que cette démarche est convenable, et qu'elle sera bien reçue.

A l'égard de la manière étonnante dont en use un homme à qui j'ai témoigné pendant cinquante ans un attachement si public, et que plus d'un de mes confrères me reproche aigrement aujourd'hui, je n'ai rien à vous dire sinon que mon coeur est blessé de son procédé autant qu'il est pénétré pour vous d'une reconnaissance qui ne finira qu'avec ma vie. Ces sentiments sont bien plus vrais que les beaux excès de jeunesse dont les plaisants de Paris ont voulu me faire honneur. Soiez sûre que je ne suis point du tout galant avec les Dames genevoises; mais que si vous me permettez le mot d'amitié, j'en ai une pour vous qui est fort audessus de tout ce que les Dames de Genêve et même de Paris, pouraient inspirer à de jeunes gens.

Je n'ai pu lire l'article de vôtre Lettre où vous dites, La …. des loix de Minos est bien. Je ne sais quel mot vous avec mis après, La. Je voudrais vous envoier un recueil où sont les loix de Minos avec quelques pièces assez curieuses; mais je ne sais comment m'y prendre; Mr D'Ogny ne veut se charger d'aucun paquet où il y ait des livres. C'est à vous à me donner vos instructions et vos ordres.

Madame Denis vous est attachée comme moi; je ne peux vous rien dire de plus fort. Agréez les respects et les remerciements du vieux malade.

V.