1772-09-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Madeleine Louise de La Tour Du Pin, baronne d'Argental.

Vous passez donc vôtre vie, Madame, à tuer des perdrix et à rendre de bons offices?
Vous êtes essentielle et discrète. Ce n’est pas pour rien que vous vous habillez si souvent en homme. Vous avez toutes les bonnes qualités des deux sexes. Je vous appellais papillon philosophe, je ne vous appellerai plus que papillon bienfesant.

Je vous suis infiniment obligé d’avoir parlé à Mr D’Ogny. Ma colonie devient tous les jours plus considérable, et si elle n’est pas protègée elle tombera; j’aurai fait envain des efforts audessus de mon état et de ma fortune, j’aurai en vain défriché des terres et bâti des maisons, établi quarante familles d’étrangers, et une assez grande quantité de manufactures. Ma destinée aura été de travailler pour des ingrats de plus d’un genre. Mr Le controlleur général m’a fait un tort irréparable, mais je ne lui ai pas demandé la moindre grâce. Je suis consolé par vos bontés, par vôtre amitié, vous m’encouragez, et je continue hardiment ce que j’ai commencé.

Racle vous doit tout; il est vrai qu’il n’a encor rien, mais il aura; il faut savoir attendre. Vous êtes la divinité de nôtre petit canton, je vous brûle des grains d’encens tous les jours sans vous le dire. Soiez bien persuadée, Madame, de mon tendre et respectueux attachement.

Le vieux malade de Ferney V.