11e avril 1773, à Ferney
Je m’imagine que mon héros fait ses Pâques à Versailles, et que j’aurai tout le temps de disposer mon squelette à me rendre à ses ordres.
Vôtre Lazare ressuscité ne manquera pas de venir au rendez vous le plus secrettement que faire se poura dès que vous lui aurez marqué le jour où il devra partir, après quoi, il retournera bien vite dans son hermitage.
On doit jouer incessamment les loix de Minos à Lyon, et l’on fait pour celà de grands préparatifs. C’est précisément de quoi je ne veux pas être témoin. Comme vous êtes l’unique objet de mon voiage je ne veux pas qu’aucune idée étrangère se mêle à mon idée dominante. Je compte d’ailleurs beaucoup plus sur les acteurs de Bordeaux que sur ceux de Lyon. Belmont fera ses efforts pour faire réussir une pièce que vous protègez, qui vous est dédiée, et qui vous apartient.
A l’égard de Paris, je pense qu’il ne faut pas se presser, et que vous pouriez attendre le voiage de Fontainebleau. Il n’est pas impossible que dans ce temps là vous n’aiez quelques bons acteurs. Il y en a un qui était à Lyon, et que j’envoie malheureusement à Petersbourg. Je m’en repents du fond de mon cœur. Je crois qu’il serait devenu excellent à Paris.
La pièce, d’ailleurs, était fort mal arrangée par Le Kain, et les rôles ridiculement donnés. Monseigneur me permettra d’arranger tout celà différemment selon son bon plaisir.
Il pleut de mauvais vers à Turin; c’est tout comme chez vous, et vous rembourserez plus d’un sonnet quand vous viendrez dans ce païs là. La troupe de l’Impératrice Reine est revenue de Naples et de Venise où elle a beaucoup réussi. C’est la première fois qu’on a vu des acteurs français au fond de l’Italie. Vous pouriez bien trouver parmi ces Comédiens quelqu’un qui vous convînt.
Je m’aperçois que je ne vous parle que de théâtre, mais vous êtes premier gentilhomme de la chambre, et les plaisirs de l’esprit sont faits pour vous être aussi chers que les autres.
Vous ne m’avez point mandé si l’on pouvait vous envoier de gros paquets du côté de la Suisse. Je crains toujours de commettre quelque indiscrétion; mon ombre me fait peur. C’est apparament depuis que j’ai été sur le point de n’être plus qu’une ombre.
Jouïssez, Monseigneur, de vôtre belle santé. Il n’y a de jeunes que ceux qui se portent bien. Daignez continuer à me faire oublier par vos bontés toutes les misères de ma décrépitude, et agréez toujours mon très tendre respect.
PS. Mr De Sartine m’a écrit qu’il ne doutait pas de la prévarication de Valade, qu’il aurait tout saisi si tout n’avait pas été vendu, et qu’il me priait de ne pas éxiger de lui qu’il poussât plus loin cette affaire. Je vous rends compte de tout comme à mon médecin.
A propos, je vous crois réellement le meilleur médecin du monde car par vôtre attention et vôtre régime vous avez fortifié vôtre santé et prolongé vos plaisirs. Boeherave avec tous ses livres, et un tempérament de fer n’a pas sçu arriver à soixante et dix ans faits. Vivez cent ans et moquez vous intérieurement des médecins, ainsi que du reste du monde.