14e May 1773
Je hazarde de vous envoier par la poste ces loix de Minos.
Il y en a, mon cher ange, deux éxemplaires, l’un pour vous, l’autre pour Mr De Thibouville. Je me flatte que Mr D’Ogny permettra que le paquet vous parvienne.
Je supose que vous savez qui on nommera pour aller demander Madame la Comtesse D’Artois à Monsieur son père, et quand se fera cette cérémonie à la cour de Savoye. Vous me direz que je suis bien curieux.
Aufresne est revenu à Genêve après avoir fait connaître le théâtre français à Venise et à Naples, ce qui n’était jamais arrivé. Je ne connais point ses talents; je ne l’ai jamais vu sur la scène. Peut être s’il se montre sur le théâtre de bateleurs qui est actuellement auprès de Genêve je serai privé du plaisir de le voir, car je ne suis point encor en état de sortir. Je serai bien embarrassé quand il faudra mettre un habit.
Faittes moi l’amitié, mon cher ange, de me mander comment Madame D’Argental se porte, Je m’imagine que le climat de Paris est meilleur que celui de Genêve. Le malheur en a voulu à nôtre colonie, nous avons eu des malades, des morts, des ruinés, et des déserteurs, mais tout cela arrive dans toute colonie. Nous serions absolument anéantis par vos cours des monoies, vôtre marc d’or, et vos autres loix de Minos, si nous n’avions pas été un peu soutenus par le païs étranger. Cette situation équivoque ne peut pas durer. J’ai bien peur qu’avant ma mort, toute cette machine que j’ai construite avec tant de soins et de dépenses, ne soit entièrement détruite. J’ai tout fondé à Ferney, mais ce sera le château d’Armide. Tout est illusion excepté de vous aimer et de vivre avec vous.