1778-05-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Louis Wagnière.

Mon cher ami, Mr De Crassy est tout étonné de se voir obligé de paier pour le champ que je lui ai donné, les dixmes que je ne paiais pas, et beaucoup de redevances au Roi dont ce champ était éxempt, comme étant de tout tems de L'ancien dénombrement.
Mr De Crassy ne sçait-il pas que ces privilèges sont perdus dès que le terrein est passé en des main étrangères? Voilà pourquoi nous avons stipulé dans notre contract qu'il paierait pour moi toutes les redevances attachées à la pièce de terre qu'il m'a donnée en échange. Si vous trouvez le moien de lui en parler vous pourez lui faire sentir la nécessité indispensable où il s'est mis. Vous me ferez plaisir de m'envoier la grosse de nôtre contract avec lui. Vous pourez me l'adresser chez Mr D'Ogny avec les papiers d'affaires que vous jugerez les plus nécessaires. Mr D'Ogny me fera tenir avec promptitude tout ce que vous m'adresserez sous son envelope.

Mandez moi, mon cher ami, si Mr et Made De Florian sont chez moi en éffet, et s'ils ont loué Bijou à des Anglais pour cet été comme ils s'en flattaient.

J'ignore si Ceret et d'autres débiteurs vous ont paié quelque chose. Vous les avez sans doute informés que vous êtes nanti de ma procuration et de celle de Made Denis. Je m'en raporte à vous sur toutes les affaires de quelque nature qu'elles soient. Je suis un peu étonné de n'avoir point reçu de Mr Henri Sherer les Lettres de change que j'attendais, mais il faudra bien qu'il se mette en règle, pour vous.

Demandez, je vous prie, à Mr Dupuits, si on imprime la traduction française des loix de L'Impératrice de Russie.

Je vous demande de m'envoier sous l'enveloppe de Mr De Vaines deux prix de la Justice et de l'humanité. Je voudrais ensuite deux éxemplaires de la bible des aumôniers du Roi de Prusse sous la même adresse, en deux envois différents.

Je voudrais bien savoir si le Pascal Condorcet est fini. Je vous prie de vous en informer à Grasset de Genêve.

Je n'ai point cette fois cy d'autre prière à vous faire. Je crains seulement d'avoir toujours oublié parmi les guenilles que je fais venir, un beau manteau de lit de satin blanc qui me serait actuellement assez nécessaire. Je vous prie de le faire mettre parmi mes hardes. En voilà assez pour aujourd'hui. J'ai bien peur de ne pouvoir être dans ma maison que dans deux mois. Je vous embrasse de tout cœur vous et toute vôtre famille.

V.

J'ajoute à ma Lettre que Mr d'Hornoy, qui est chez moi dans ce moment, protège la Colonie beaucoup plus qu'elle ne croit, et qu'elle peut l'espérer. Il se donne des mouvements continuels pour obtenir les Lettres patentes que nos horlogers demandent, et pour les faire enregistrer à la cour des monoies; en attendant, ils ont toujours Mr D'Ogny, et certainement ils ne seront pas abandonnés.