13e May 1778,Paris
J'ai reçu, mon cher ami, vôtre Lettre du 8e May, avec une grande consolation; j'en avais besoin.
Je crains bien d'avoir changé mon bonheur contre de la fumée. D'ailleurs, ma maladie augmente tous les jours. On me ruine pour achever une maison dans Paris, et je ne bâtis que mon tombeau.
Si j'étais assez heureux pour jouïr de cette maison quelques années avec une santé moins déplorable, soiez très sûr que je viendrais tous les ans passer quatre mois à Ferney; mais je suis actuellement dans les horreurs de la souffrance et de la ruine.
Il faut que la tête périgourdine de Bardy lui ait absolument tourné pour faire venir sa femme à Paris. Je n'ai de quoi la loger ni chez Mr De Villette, ni chez moi. J'avais recommandé expressément à Bardy de ne prendre aucun parti, et d'attendre. Il fait une extravagance à laquelle on ne poura remédier.
Bétems de Moëns est assurément le maître de rentrer dans son pré en païant; il n'y a pas grand mal à celà; je ne suis pas fort empressé d'avoir du terrein pour la censive de Genêve.
J'ai reçu la Lettre de change pour Panrier devenue inutile. Je le compte actuellement paié, et que tout est en règle. Je ne me mêlerai plus d'aucun envoi des montres de Ferney, c'est au sr Reynaud à se charger de toute la correspondance.
M. D'Ogny favorise plus que jamais nôtre Colonie; c'est la meilleure protection qu'elle puisse avoir dans le roiaume. Nos horlogers demandent des Lettres patentes; elles leur coûteront beaucoup d'argent, elles ne serviront de rien tant que le généreux Mr D'Ogny daignera les favoriser. Dites leur bien, mon cher ami, que cette bonté de Mr D'Ogny vaut mieux que toutes les Lettres patentes du grand sceau de cire jaune.
A l'égard de la caisse des livres il faudra l'adresser à Mr De Neuville, maître des Requêtes, Intendant de la Librairie, en son hôtel à Paris, mais attendez une seconde Lettre de moi pour faire cette adresse, parce que mes souffrances continuelles ne m'ont pas encor permis de lui parler. Vous pouriez mettre dans cette caisse de livres, le paquet intitulé, recueil de vers en plusieurs langues. Il est sur mon bureau dans ma chambre à coucher, ou sur le bureau de ma bibliothèque. J'ajoute au catalogue des livres que j'ai demandés, le poëme des Saisons de Mr de St Lambert, dernière édition, sans oublier le livre le plus nécessaire, qui est L'Almanac roial.
Je crois que nous pourions affermer Ferney à peu près pour le prix qu'on en offre; mais il faut attendre. Il est bon que Porami qui est laborieux et honnête homme vende cette année les denrées à Genêve, qu'il voie avec vôtre femme ce qu'on en poura tirer, et qu'elle nous envoie les compte à Paris sous le couvert de Mr de Vaines, ou sous tel autre qu'on indiquera. Elle poura vendre aussi la plus grande partie des vins de France et de liqueurs, et ne réserver que ce qui poura nous être nécessaire pour un voiage que nous y ferons. Elle poura vendre aussi l'huile qui se gàterait à la longue; et se chargera de païer le curé sur le prix de toutes ces ventes et d'en tirer un reçu.
Mr Deflorian a dû vous montrer un Billet de moi par lequel je vous prie de lui donner selon sa demande deux appartemens en haut dans le château avec la jouissance de la cuisine et celle de la promenade dans le jardin; il compte rester tout l'été et Louer Bijou à des Anglais. Je vous attends avec la plus tendre amitié, et vous embrasse.
V.