à Ferney, vendredy au soir 8e May 1778
Monsieur mon très cher maître,
Me voicy arrivé depuis hier à onze heures par la diligence et par le courier, bien enroué.
Je n'ai pu retenir mes larmes en voiant et en entrant dans vôtre belle habitation de Ferney, et en contemplant vos ouvrages surtout vous sachant malade. Je vous assure que je ne vis point éloigné de vous, l'espérance de vous rejoindre bientôt, et celle de la continuation de vos bontés sont ma seule consolation.
J'ai trouvé tout le monde dans la consternation. Tous perdent l'espérance de vous revoir au sein de vos enfans, au milieu de vôtre charmante création. Je les assure qu'ils auront cette consolation, et que vôtre santé est la seule raison qui vous a empêché d'y revenir dans ce moment.
En passant à Lyon je fus chez Messrs Sherer et Lavergne. Ils ont dû vous répondre d'abord, et vous dire qu'ils étaient à vos ordres.
Je viens de faire un paquet de tous les papiers que j'ai trouvés dans le tiroir du milieu du bureau de vôtre chambre. Je les envoie sous l'envelope de Mr D'Ogny, et je lui écris une Lettre d'avis. Je chercherai tous les papiers de littérature qui sont dans vôtre chambre, et je vous les adresserai dans quelques jours.
J'ai trouvé que vous étiez plus riche de deux cent Louis d'or. Vous n'aviez mis sur vôtre note que mille Louis, et vous en avez douze cent. J'en fais deux boëtes de six cent chacune, j'en enverrai demain une à Mr Sherer par Mr Vasselier qui m'a dit que c'était la voie la plus sûre, et la seconde partira après demain samedy.
J'irai demain vendredy à Genêve prendre chez Mr Souchay le restant de vôtre groupe, pour le faire passer aussi à Mr Sherer, après avoir paié en partie ce que vous devez, et les domestiques.
J'ai été tout étonné en aprenant il y a une couple d'heures que la femme de Bardy était partie ce matin pour aller chez vous à Paris de vôtre part.
Bétems de Moëns vient de faire signifier à Madame Denis qu'il veut rentrer dans son pré, et vous rembourser, ainsi qu'il est stipulé dans le contract. On ne peut pas malheureusement y former opposition.
Voicy la Lettre de change que vous aviez donnée pour Panrier, et que ma femme avait gardée en attendant vos ordres.
Je vais ces jours cy m'occuper des autres objets dont vous m'avez donné une note. Je vous prie de vouloir bien me dire à qui je dois adresser vos caisses de livres.
On m'offre Quatre mille quatre cent cinquante Livres de la terre; j'ai répondu que je ne croiais pas que vous la donnassiez à ce prix.
J'aurai l'honneur de vous instruire de toutes mes opérations, je désire de tout mon cœur de ne rien faire que ce qui poura vous être agréable; ce qui me le sera le plus ce sera d'aprendre que vous vous portez bien, que vous daignez me conserver des bontés qui font seules le bonheur de ma vie.
Ma femme & Mimi me chargent de les mettre à vos pieds et à ceux de Madame Denis, ainsi que moi.
Daignez recevoir avez indulgence les faibles expressions de tous les sentiments d'attachement, d'amour et de respect avec lesquels celui qui se regarde comme vôtre enfant à l'honneur d'être
Monsieur mon très cher maître
Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Wagniere