1778-05-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Louis Wagnière.

Mon cher Wagnière, je vous ai déjà mandé combien je désirais vous voir, et combien je regrettais Ferney dans le brillant fracas de Paris.
Tout le monde oublie que j'ai quatrevingt quatre ans, et que je suis malade; on me tue, et vous êtes absent.

Je vous ai déjà prié de revenir dans le carosse de made Denis, et d'aporter avec vous mes papiers que vous trouverez dans les tiroirs du bureau de ma chambre à coucher. Ces papiers consistent dans les reconnaissances des billets et des Lettres de change qui sont dans les tiroirs du côté du lit, exceptez celles que vous jugerez à propos de laisser entre les mains de Mr Martin mon procureur. Il y a aussi quelques autres papiers dans le tiroir du milieu, comme les affaires concernant le Virtemberg et le palatinat, et quelques autres feuilles volantes. Il y a d'autres papiers de simple Littérature qui sont épars sur le même bureau; je vous prie d'emporter tout celà avec vous. Gardez les autres qui sont dans la bibliothèque. Il n'y a que la seule Lettre de Mr Pasquier que je serais bien aise de retrouver; mais ne vous donnez pas trop de peine pour la chercher, vôtre présence m'est beaucoup plus nécessaire que cette Lettre, c'est de vous principalement que j'ai besoin, mon cher ami, surtout dans l'état funeste où ma mauvaise santé m'a réduit.

A l'égard des petites affaires à consommer pour le présent avec Mrs Souchay et Sherer, celà ne me parait souffrir aucune difficulté.

Pour ce qui regarde mes livres je vous ai prié d'y ajouter ce que vous trouverez concernant la langue française, et de joindre aux livres italiens en maroquin, un petit livre en même format intitulé, il vocabulario.

J'ai demandé aussi une anatomie de Thévenin, dans laquelle on trouve un dictionaire très utile des maladies et des remêdes; c'est un in quarto qui est à côté de la première fenêtre en entrant. Je vous prie d'y joindre le dictionaire Celte, imprimé en deux ou trois volumes in folio, qui est au premier raion des livres italiens. Joignez y la grammaire italienne de Buon Mathei, petit in 40 qui est parmi ces livres italiens, éxcellent ouvrage dont j'ai besoin.

Vous pouvez trouver aussi parmi les livres anglais, ou dans un coin de la nouvelle addition faitte à ma bibliothèque un livre anglais en deux volumes bien reliés, intitulé The Origine of the language. Je crois que voilà tout ce qu'il me faut. Envoiez moi mes livres par les rouliers. Ils arriveront quand ils pouront. Je vous manderai à qui il faudra les adresser; mais encor une fois, mon cher ami, c'est de vous dont j'ai le plus de besoin. J'embrasse vôtre femme et vôtre fille, et fais mes compliments à Hénoc. Revenez le plutôt que vous pourez.

V.