Quai des Théatins 15 May 1778
Je vous écrivis hier, quatorze, mon cher Wagniere, une assez longue lettre par la main de Mainsonat qui dut l'envoier à Mr De Vaines pour vous la faire parvenir, et le moment d'après je reçus par le valet de chambre de Mr D'Ogny une caisse d'asperges pouries, qui empuantit tous les cabinets dorés et tous les nids à Rats de Mr de Villette.
Hélas! pourquoi envoier de l'eau à la rivière? Je crains que nous n'aions usé les bontés de Mr D'Ogni.
J'aurais bien mieux aimé que vous m'eussiez envoié par son adresse les papiers dont j'ai besoin.
Je vois par vôtre Lettre qui accompagnait les asperges, que vous m'envoiez des Pascal Condorcet par Mr De Vaines. Puissent-ils arriver à bon port; celà est délicat.
Je réponds aux questions de vôtre Lettre pour ne pas grossir le paquet en vous renvoiant vos questions:
1º N'affermons pas Ferney cette année. Voions ce qu'on en poura tirer.
2º Envoiez moi le contract avec Mr De Crassi; il faut que nous le lisions pour y répondre.
3º Je paierai pour la maison du frère de Jaquet, et pour toutes les autres, au premier semestre qui viendra de Montbelliard.
4º Ne manquez pas, je vous en prie, de m'envoier le billet que j'ai de Dunoier, par lequel il me déclare qu'il n'a rien à me demander pour la maison Gabard, et que c'est à Gabard à paier les additions qu'il a ordonnées par delà le marché convenu. Ce billet est d'une grande importance; vous le trouverez dans une des liasses du dernier tiroir de ma chambre à coucher.
5º Sans doute, mon cher ami, il faut laisser à Cabussat et à St Louis son habit, mais il convient que lui ou sa femme paie un petit loier. Les tabliers aux filles.
Il est à présumer que Ceret paiera quelque chose de ce qu'il doit. J'ai besoin de rassembler à présent toutes mes ressources pour la vie ruineuse de Paris.
Ne pouriez vous pas mettre dans le premier paquet que vous m'enverrez par Mr D'Ogny les billets de Lavit Lafond et de Beaumont? Je pense qu'ils ne seront échus que quand vous serez établi dans nôtre agréable maison de Paris. Vous reviendrez sans doute dans le carosse de Made Denis, vous ramênerez son bagage et mes guenilles.
Ne m'écrivez plus par Mr De Vaines; il vient de partir pour Chanteloup et pour une autre maison de plaisance. Il a donné ordre chez lui qu'on reçût vos paquets à moi adressés sous son envelope; je les enverrai chercher. Envoiez vos autres paquets subséquents à Mr de Montsauge, directeur et administrateur des postes de France, avec mon adresse sous l'envelope; il est averti; et il me fera délivrer ce que je réclamerai. Sa demeure est sur le rempart n. 9.
Voilà une lettre bien longue et qui donne de la peine au pauvre malade. Je ne puis répondre à Auziere qui m'écrit qu'il va tout abandonner. En ce cas il va contribuer à ma ruine; il veut retourner à Genêve. Tous ces gens là sont insensés et injustes. Dites leur bien, mon cher ami, que je leur suis cent fois plus utile à Paris qu'à Ferney. Répétez leur qu'ils n'auraient jamais osé se flatter d'une protection aussi puissante et aussi continue que celle de Mr D'Ogny. Ils demandent des Lettres patentes qui ne contiendront que la permission d'être taxés. Ils les auront, ces lettres enregistrées, qu'ils demandent si imprudemment. Mais avertissez les qu'elles coûteront plus de mille Livres; il leur en coûtera cher pour être esclaves. Ils sont comme Vial qui éxerçant librement sa profession, veut paier cent écus pour n'être plus libre. Tout cela est fou. Dieu veuille avoir pitié de ces têtes! Je finis, ma main succombe au fardeau d'écrire. Je souffre des douleurs incroiables. Adieu mon ami que n'êtes vous icy!
V.
PS. Je reçois dans ce moment par la petite poste vôtre paquet du 10e May. Je crains bien que l'envoi des asperges n'ait dégoûté Mr D'Ogny; ce serait le plus grand malheur qui pût m'arriver à la suitte de tant d'autres. Ah qu'on m'a trompé! Je n'en puis plus.
De tous les papiers que vous pouvez m'envoier de Ferney, le plus nécessaire est le compte de Sherer de Lyon. Je suis bien étonné de ne pas recevoir de Lettres de lui. Adieu encor une fois.