1778-05-15, de Jean Louis Wagnière à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur mon très cher maître,

Le billet dont vous m'avez honoré du 7 m'a tiré des larmes de reconnaissance pour les bontés que vous m'y témoignez; je ne puis vous exprimer tous mes sentiments; ces bontés font seules le bonheur de ma vie.

J'envoie encor, sous envelope simple, à Mr De Vaines, un Pascal et 1 bib: Je vous adresse mes Lettres par Mr D'Ogny, et vous les recevez environ trois heures plutôt, et celà vous donne le temps de faire prévenir Mr De Vaines.

J'ai sur le champ mis à part les livres que vous demandez par vôtre billet. Je n'attends plus que vos derniers ordres, et l'adresse sûre pour faire partir les caisses de livres.

Barnabé est venu me voir hier, il aurait envie d'avoir le bâtiment de la Comédie, mais il n'en veut donner que 825£ par an en viager aulieu de 1650£ que vous en a promis st Gerand, et qu'il ne vous paiera pas. Voiez si vous voulez consentir à cette proposition et tirer quelque chose, ou rien. Vous serez aumoins sûr avec Barnabé qui a pour plus de cent mille francs de bon bien. J'ai écrit à Mr Maurier de faire dire à mr st Gérand de paier son billet. J'attends impatiemment l'arrivée de Mr Racle pour terminer vos affaires, afin d'aller vous rejoindre bien vîte, car je ne puis vivre éloigné de vous.

Ceux qui m'avaient dit d'abord qu'ils donneraient 4450lt du domaine et des jardins, le firent je crois pour plaisanter; ils n'ont jamais voulu venir me parler, et je n'ai pu les voir. On ne m'en offre à présent que 3500£, non compris les Lods, les censes, et les bois, que je ne crois pas qu'il faille jamais donner. Si je puis avoir 4000£ ou 3800£ je crois, sauf un contre ordre, que je passerai le bail. Et pour que le fermier ne mit jamais les pieds dans vos forêts, je pensais que l'on pourait lui donner la jouïssance du bois Fabri, du cu du chien, et du bois sur grosse, s'entend des broussailles, et non la coupe d'aucun arbre.

Je vous demande en grâce de me dire vôtre avis par la voie de Mr D'Ogny qui est plus sûre.

La campagne est admirable dans ce moment. Je voudrais bien que vôtre santé vous eût permis de la revoir encor, et de vous promener sous vôtre berceau.

Si je ne puis pas trouver 3800£ de la terre, je vous assure qu'il faudra continuer de la faire régir encor jusqu'au 22e février prochain, et faire tout vendre le produit.

Portez vous bien, aimez moi toujours, ainsi que ma petite famille qui vous baise les mains, et qui est à vos pieds.

Je suis avec le plus profond respect

Monsieur mon très cher maître

Vôtre très humble et très obéissant serviteur

Wagniere

Depuis ma Lettre écrite, Mr Martin me mande que Bétems a gagné son procez pour le bois de près la thuiliere. Celà coûtera encor cher.

Il me dit aussi que les Sonnex et autres ont aussi gagné celui pour les broussailles à vous échangées contre les Bramerels.

Il ajoute que les Ursulines de Gex demandent si l'on veut s'accommoder amiablement, sinon elles vont poursuivre.

Daignez je vous suplie, mon cher maître, me dire un mot sur tous ces objets.