à Ferney Jeudy 21e May 1778
Madame,
J'ai reçu hier la Lettre que vous avez daigné m'écrire le 17e.
Je me flatte que vous avez reçu les deux précédentes que j'ai eu l'honneur de vous adresser. J'attends le retour de vos comptes. J'ai reçu d'Auziere 270 £ et Mr De Crassy m'en remettra au retour de Mr Racle, j'en attends aussi de Servand. J'avais oublié de vous dire que vous devez aussi vôtre montre à Ceret. Vous verrez par vos comptes que je ne retirerai pas assez pour vous pour les acquitter. Mais tout celà poura s'arranger. J'ai aussi 38 £ 10s de la part de Mr Christin.
J'ai vu hier au soir Mr Rieu, et je lui ai parlé de vôtre piano-forte, il m'a promis décrire aujourd'hui.
Mr Vasselier m'a permis de lui adresser vos affaires qui sont sujettes à paier de gros droits, il y aura sept ou huit envois. Il les remettra à mesure à Mr Lavergne, à qui j'écrirai d'en faire un seul ballot et de vous le faire parvenir à Paris. Je n'oserais les mettre dans vôtre carosse crainte de saisie ou de droits énormes.
On va se mettre à emballer la porcelaine que vous demandez, avec les bras et les chenets. Je prends un emballeur de chez Mr Racle pour la porcelaine.
Toute la vaisselle de France est emballée.
Ma femme avait mis déjà du bois genti dans une des malles qui sont parties par Borel.
Il y aura de quoi charger un grand chariot de toutes les affaires; je ne puis trouver quelqu'un qui les mène à moins de quinze francs le quintal.
Je suis bien aise que l'on n'afferme pas encor la terre. Eh mon Dieu, Madame, m'auriez vous cru assez imbécile pour affermer vos bois? C'aurait été mon plus grand soin qu'un fermier ne pût jamais y mettre les pieds.
Je vois que j'ai fait une sottise en croiant Marquet pour envoier des asperges. J'en demande pardon à mon cher maître et à Mr D'Ogny. Je suis au désespoir d'apprendre que la strangurie persécute toujours Monsieur De Voltaire. Hélas! Madame, vous méritiez l'un et l'autre de jouïr d'une santé parfaitte.
Je n'attends pour partir que l'arrivée de Mr Racle. Je redoute terriblement l'ennui d'un voiage qui sera de quinze jours avec vôtre carosse, il me tarde déjà assez d'être éloigné de mon maître et de vous.
Ma femme est pénétrée de reconnaissance des sentiments que vous voulez bien avoir pour elle, et de l'espérance que vous lui donnez de vous voir à Paris, elle vous prie ainsi que moi, de compter sur nôtre empressement et sur nôtre zèle à éxécuter vos ordres. Mimi vous suplie de permettre qu'elle soit à vos pieds.
Conservez moi toujours, ainsi que Monsieur De Voltaire, des bontés qui ont fait jusqu'icy le bonheur de ma vie, et daignez agréer le sincère attachement et le profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être
Madame
Vôtre très humble et très obéissant serviteur
Wagniere
Vous aurez la bonté de donner vos ordres à Mr Lavergne pour les affaires que je lui envoie pour vous. Le 1er paquet part demain. Je l'en préviens.
Les horlogers sont bien contents. Et la Perrachon aussi.