16e xbre 1772
Le jour que je reçus vôtre Lettre, mon cher seigneur picard, nous apprimes que vôtre beaufrère se fesait liquider, et qu’il avait la survivance de la place de garde du trésor.
Nous avons conclu de là que vous seriez liquidé aussi, et nous nous flattons que les ouvriers qui viennent travailler à la vigne à la neuvième heure du jour seront paiés comme ceux qui se sont présentés le matin.
On nous mande aussi que les princes ont écrit au Roi. Ainsi tout s’accommode. Bientôt il ne sera plus question de cette affaire. Tout s’oublie en France bien vîte. Voiez comme on a oublié la fronde et la st Barthelemi. Les eaux du fleuve Léthé s’emparent de tous les évênements. Vous ne serez point garde du trésor, mais vous serez heureux, et le bonheur est le vrai trésor de ce monde. J’espère que vôtre fille aux grosses joües le sera aussi. Je souhaitte fort que son père et sa mère lui fassent passer l’hiver à Paris.
Mr De Florian nous restera; il est enchanté de sa femme et de sa maison. Mais sa maison ne vaut pas sa femme.
Il est vrai que le livre de la félicité publique a fait la mienne. Je ne suis pas toujours de l’avis de l’auteur, mais il me parait toujours instructif, ingénieux, profond et utile. Peut être quand vous serez à Paris bien paié trouverez vous comme lui, qu’il est plus agréable de vivre dans ce temps cy que lorsque Charlesquint venait jusqu’à Compiegne, ou que les Bourguignons et les Armagnacs fesaient couler le sang dans Paris, et lorsqu’on y couronnait le roi d’Angleterre Henri 5, et que vôtre ancienne compagnie fesait serment de fidélité au petit enfant qui fut depuis L’imbécile Henri 6. Pour moi je pense, malgré tous les petits orages dont aucun état n’est éxempt
Je ne vis pourtant guères; je m’affaiblis tous les jours. La maladie de Made Denis n’a été qu’une passade; la mienne est une affaire règlée depuis longtemps.
Je fais mes tendres compliments à Madame D’Hornoy. Je vous embrasse avec une tendresse bien vraie, et avec le regrêt d’être si loin de vous.
V.