1772-04-10, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, J’ai reçuë successivement Vos deux lettres du 12 févreier et 6 de mars, je n’y ai pas réponduë à cause d’une blessure que je me suis faite par maladresse à la main droite, ce qui m’a empêchée pendant plus de trois semaine d’écrire, à peine pouvaije signer.
Votre dernière lettre m’a vraiment allarmée sur l’état ou Vous avés été, j’espère que celle çi Vous trouvera rétabli. L’Ode de Mr Darta, n’est point l’ouvrage d’un malade. Si les homes pouvait devenir sages, il y a longtems que Vous les auriés rendus tels; oh! que j’aime Vos écrits, il n’i a rien de mieux selon moi. Si ses fous de soi disant confédérés était Etres à raison, Vous les auriés persuadés depuis longtems. Mais je sais un remède qui les guérira. J’en ai un aussi pour ses petits maitres sans aveu qui quitent Paris pour venir servir de précepteurs à des brigands. Ce dernier remède vient en Siberie, ils le prendront sur les lieux. Ses secrets ne sont point ceux d’un charlatan: ils sont efficace. Si la guerre continuë, il ne nous reste guerre plus que Bizance à prendre, et en vérité je comence à croire que cela n’est pas impossible; mais il faut être sage, et dire avec ceux qui le sont, que la paix vaut mieux que la plus belle guerre du monde. Tout cela dépend du seigneur Moustapha, je suis prête à l’une come à l’autre, et quoiqu’on Vous dise que la Russie est sur les dents, n’en croyés rien, elle n’a jamais encore touché à mille ressources que d’autres Puissances ont épuisées en temps de Paix. De trois ans elle n’a imposées aucune nouvelle taxe quelconque, non pas que cela ne fût faisable, mais parceque nous avons suffisament tout ce qu’il nous faut.

Je sais que les faiseurs de Chansons à Paris ont débité, que j’avais fait enrôler le huitième home, s’est un mensonge grossier, et qui n’a pas le sens commun, apparement qu’il y a chés Vous des gens qui aiment à ce tromper, il faut leur laisser ce plaisir, parceque tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles selon le Docteur Pangloss. Les procédés de Mr Tronchin dont Vous me parlés, vis à vis de moi, sont les plus honêtes du monde. Je suis come l’Impératrice Theodora, j’aime les images, mais il faut qu’elles soient bien peintes. Elle les baisais, s’est ce que je ne fais pas; il pensa Lui en arriver malheur. J’ai reçuë la lettre de Vos horlogers.

Je Vous envoye les noisettes qui contienent la semence de l’arbre qu’on appelle cèdre de Siberie. Vous pouvés les faire planter en terre, ils ne sont rien moins que délicat, si Vous en voulés plus que ce papier ne contient, je Vous en enverrés.

Recevés mes remercimens de toutes les amitiés que Vous me témoignés, et soyés assurés de tous mes sentimens.

Caterine