1772-12-03, de Catherine II, czarina of Russia à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur, J’ai reçuë Votre lettre du 2 9bre lorsque je répondois à une belle et longue lettre que m’a écrit Mr d’Alemberg après cinq ou six ans de silence, par laquelle il réclame au nom des Philosophes et de la Philosophie les Français fait prisoniers en différens endroits de la Pologne; le billetçi joint contient m’a réponse.
Je suis fâchée de ce que la Calomnie aye induite les Philosophes en erreur. Monsieur Moustapha revient des sienes, il fait travailler de très bonne fois à Boucarest son Rois Effendi au rétablissement de la Paix. Après quoi il pourra renouveller les pélerinages à la Mecque, que le Seigneur Aly Bey avoit un peu dérangé depuis sa levée de Bouclier. Je ne sai pas jusqu’où les Turks poussent leurs respect pour leurs saints, mais je suis un témoin oculaire qu’ils en ont et voiçi coment. Lors de mon Voyage sur la Volga, je descendis de ma galère à 70 Werstes plus bas que la Ville de Casan, pour voir les ruines de l’ançiene ville de Bolgare que Tamerlan avoit bâti pour son petit fils, j’y trouvois en effet sept à huit maison de pierre et autant de minarets bâti très solidement qui existoit encore. Je m’aprochoit d’une masure auprès de laquelle une quarantaine de Tartares ce tenait. Le gouverneur de la Province me dit, que cet endroit était un lieu de dévotion pour ses gens là, et que ceux que je voyait y était venu en pélerinage. Je voulu savoir en quoi consistait cette dévotion, et à cet effet je m’addressait à un de ses Tartares dont la phisionomie me paru prévenante, il me fit signe qu’il n’entendait n’entendait point le Russe et ce mit à courir pour appeller un home qui ce tenoit à quelque pas de là; cet home s’approcha et je lui demandoit qui il étoit? S’était un Iman qui parlait assés bien notre langue, il me dit que dans cette masure avoit habité un home d’une vie sainte; qu’ils venoit de fort loin pour faire leurs prières sur son tombeau qui était proche de là, et ce qu’il me conta, me fit conclure que cela était assés équivalent à notre culte de saints. Notre Clergé les gênait dans ce pélerinage, et même çi devant il avoit voulu faire passer, de nombreuses assemblées des Tartares dans cet endroit come nuisible à l’Etat. Mais j’ai adoptés un avis différent, j’aime mieux qu’ils fassent leurs dévotion là, que d’aller à la Mecque. J’ai défenduë de les gêner et ils en sont très reconnoissant. Nous en avons euë de bonnes preuves pendant cette guerre.

S’est le Roy de Suede qui donera lieu au moyen de r’accourçir Votre Voyage s’il s’empare de la Norvege come on le débite, la guerre pourroit bien devenir générale par cette escapade Politique.

Si la France n’a point d’Argent, l’Espagne en a suffisament, et il faut avouer qu’il n’y a rien de plus comode que quand un autre paye pour nous. Adieu Monsieur, conservés moi Votre amitié. Je Vous souhaite de tout mon cœur les années de l’Anglais Iennkings qui vécu Jusqu’à cent soixante neuf ans. Le bel âge!

Dans peu je Vous enverrés la Traduction française de deux Comédies Russes. On les transcrit au net.