1771-10-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Je n’écris point par cette poste à Moustapha.
Permettez moi de donner la préférence à Vôtre Majesté Impériale. Il n’y a pas moien de parler à ce gros cochon quand on peut s’adresser à l’héroïne du siècle.

J’ai le cœur navré de voir qu’il y a de mes compatriotes parmi ces fous de confédérés. Nos Welches n’ont jamais été trop sages, mais dumoins ils passaient pour galants, et je ne sais rien de si grossier que de porter les armes contre vous. Celà est contre toutes les loix de la chevalerie. Il est bien honteux et bien fou qu’une trentaine de blancsbecs de mon païs aient l’impertinence de vous aller faire la guerre, tandis que deux cent mille Tartares quittent Moustapha pour vous servir. Ce sont les Tartares qui sont polis, et les Français sont devenus des Scythes. Daignez observer, Madame, que je ne suis point welche, je suis suisse; et si j’étais plus jeune je me ferais Russe.

Vôtre Majesté Impériale m’a bien consolé par sa Lettre du 4/15 7bre. Elle a daigné m’aprendre le véritable état des affaires vers le Danube. La France ma voisine retentissait des plus fausses nouvelles; mais je reste toujours dans ma surprise que Moustapha ne demande point la paix. Est-ce qu’il aurait quelques succez contre mon cher Ali-bey?

Ah! Madame, qu’une paix glorieuse serait belle après toutes vos victoires!

Tandis que vous avez la bonté de perdre quelques moments à lire le 4e et le 5me volume des questions, le questioneur a fait partir le 6 et le 7, mais il a bien peur de ne pouvoir continuer; il n’en peut plus, il est bien malade, et voilà pourquoi il désirait que Vôtre Majesté allât bien vite à Constantinople, car assurément il n’a pas le tems d’attendre.

Ma Colonie est à vos pieds. Je voudrais qu’elle pût envoier des montres à la Chine par vos caravanes, mais elle est beaucoup plus glorieuse d’en avoir envoié à Petersbourg. Vôtre Majesté Impériale est trop bonne. Je suis toujours étonné de tout ce que vous faittes. Il me semble que le Roi de Prusse en est tout aussi surpris, et presque aussi aise que moi. Rien n’égale l’admiration pour vôtre personne, la reconnaissance, et le profond respect du vieux malade de Ferney.