1772-08-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Il y a bien longtems que je n’ai osé importuner Vôtre Majesté Impériale de mes inutiles Lettres.
J’ai présumé que vous étiez dans le commerce le plus vif avec Moustapha et les confédérés de Pologne. Vous les rangez tous à leur devoir, et ils doivent vous remercier tous de leur donner à quelque prix que ce soit, la paix dont ils avaient très grand besoin.

Vôtre Majesté a peut être cru que je la boudais parce qu’elle n’a pas fait le voiage de Stamboul et d’Athênes comme je l’espérais. J’en suis affligé, il est vrai, mais je ne peux être fâché contre vous, et d’ailleurs si Vôtre Majesté ne va pas sur le Bosphore, elle ira dumoins faire un tour vers la Vistule. Quelque chose qui arrive, Moustapha a toujours le mérite d’avoir contribué pour sa part à vôtre grandeur, s’il vous a empêchée de continuer vôtre beau code; et Pallas la guerrière après l’avoir bien battu va redevenir Minerve la législatrice.

Il n’y a plus que ce pauvre Ali-bey qui soit à plaindre; on le dit battu et en fuite. C’est dommage. Je le croiais paisible possesseur du beau païs où l’on adorait autrefois les chats et les chiens. Mais comme vous êtes plus voisine de la Prusse que de l’Egypte, je pense que vous vous consolez du petit malheur arrivé à mon cher Ali. Je présume aussi que Vôtre Majesté n’a point fait faire le voiage de Siberie à nos étourdis de Français qui ont été en Pologne où ils n’avaient que faire. Puisqu’ils aimaient à voiager il fallait qu’ils vinsent vous admirer à Petersbourg. Celà eût été plus sensé, plus décent et beaucoup plus agréable. Pour moi c’est ainsi que j’en userais si je n’étais pas octogénaire. J’estime fort nôtre Dame De Czenstochowa mais j’aurais donné dans mon pélerinage la préférence à Nôtre Dame de Petersbourg. Je n’ai plus qu’un soufle de vie, je l’emploierai à vous invoquer en mourant comme ma sainte, et la plus sainte assurément que le nord ait jamais portée.

Il y a un comédien assez bon qui veut consacrer ses talents à paraître devant vôtre Majesté. Me permettriez vous, Madame, de demander vôtre protetion pour lui auprès de l’intendant de vos spectacles? Ce comédien se nomme Lamery.

Je demande bien pardon de cette importunité.

Le vieux malade de Ferney se met à vos pieds avec le plus profond respect, et une reconnaissance qui ne finira qu’avec sa vie.