1771-07-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Catherine II, czarina of Russia.

Madame,

Votre majesté impériale trouvera que le vieux des montagnes écrit trop souvent Mais mon cœur est trop plein.
Il faut que mes sentiments débordent sur le papier.

J'avais lu dans une critique assez vive du grand ouvrage de l'abbé Chappe, que dans une contrée de l'occident, appelée le pays de Welches, le gouvernement avait défendu l'entrée du meilleur livre, et du plus respectable que nous ayons; qu'en un mot, il n'était pas permis de faire passer à la douane des pensées l'instruction sublime et sage, signée Catherine. Je ne pouvais le croire. Cette extravagance barbare me semblait trop absurde. J'ai écrit à un commis des feuilles de papier. J'ai su de lui que rien n'est plus vrai. Voici le fait.

Un libraire de Hollande imprime cette instruction, qui doit être celle de tous les rois, et de tous les tribunaux du monde. Il en dépêche à Paris une balle de deux mille exemplaires. On donne le livre à examiner à un cuistre censeur de livres, comme si c'était un livre ordinaire, comme si un polisson de Paris était juge des ordres d'une souveraine, et de quelle souveraine! Le maroufle imbécile trouve des propositions téméraires, malsonnantes, offensives d'une oreille welche; il le déclare à la chancellerie comme un livre dangereux, comme un livre de philosophie. On le renvoie en Hollande sans autre examen.

Et je suis encore chez les Welches! et je respire leur atmosphère! et il faut que je parle leur langue! Non, on n'aurait pas commis cette insolence imbécile dans l'empire de Moustapha, et je suis persuadé que Kien-long ferait mandarin du premier degré le lettré qui traduirait votre instruction en bon chinois.

Madame, il est vrai que je ne suis qu'à un mille de la frontière des Welches, mais je ne veux point mourir parmi eux. Ce dernier coup me conduira dans le climat tempéré de Tanganrok.

Avant de faire partir ma lettre, je relis l'instruction.

Il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoïen ne puisse pas craindre un autre citoïen, mais que tous craignent les Loix.

Il ne faut deffendre par les Loix que ce qui peut être nuisible à chacun en particulier, ou à la société en général, etc.

Sont ce donc ces maximes divines que les Welches n'ont pas voulu recevoir? Ils méritent…..ils méritent…..ils méritent…..tout ce qu'ils ont.

Je demande pardon à votre majesté impériale, je suis trop en colère. Les vieillards doivent être moins impétueux. Si je vais me fâcher à la fois contre la Turquie et contre la Welcherie, cela est capable de suffoquer ce pauvre cacochyme qui se met en toussant aux pieds de votre majesté impériale.

J'apprends avec une extrême douleur qu'il a eu à Petersbourg un grand incendie. La providence s'est méprise, c'était Constantinople qui devait bruler.